Mausolei, ou la quintessence du dungeon synth (1/4)

by Secluded Copyist

Malgré l’engouement qu’il suscite et qui ne cesse de surprendre, le dungeon synth demeure un genre musical de niche. Il serait à peine exagéré d’avancer que ses acteurs se connaissent tous de près ou de loin, qu’ils soient suiveurs, artistes ou gérants de label. Cependant, il est parfois surprenant de constater que certains projets tombent un peu dans l’oubli, et ceci au détriment de l’empreinte indélébile qu’ils ont laissé au sein de la scène dungeon synth. Un esthétique sonore ou visuelle, des talents de mélodiste, un univers riche. La forme de cette empreinte peut prendre bien des aspects. Dans le cas présent, intéressons-nous à l’un des projets qui abreuvé une bonne partie des années 2010 de son incroyable musique : l’inénarrable Mausolei.

Dans le dungeon synth, on aime généralement les identités bien marquées, pourvu que la musique ne soit pas complètement mauvaise. On aime les mélodies cristallines de Fief. On aime l’univers d’Erang. On aime les nappes de clavier de Depressive Silence. Chez Mausolei, c’est un peu la même chose, on aime avant tout le projet pour son identité, qui est de surcroît reconnaissable par le biais de trois facteurs bien distincts. Mausolei c’est avant tout un son. Un son de clavier d’outre-tombe d’une épaisseur incomparable, à faire trembler les murs du salon. Parfois, il revêt une dimension délicieusement mélancolique que l’on a peine à retrouver ailleurs dans le dungeon synth, du moins avec la même gravité. Mausolei, c’est également une identité marquée sur le plan textuel. Une tracklist uniquement constituée de mots-clés en allemand ? Pas de doute, c’est bien Mausolei. Enfin, le projet américain est absolument indissociable des pochettes qui ornent ses albums. Ces espèces de constructions précaires, qui sentent la vieille pierre et qui tombent parfois dans le surréalisme, sont l’illustration parfaite de la musique obscure et énigmatique de Mausolei.

Le projet signe son acte de naissance le 1er novembre 2014 avec la sortie de Hallen Aus Stein. En 2014, la dénomination de dungeon synth existe déjà, mais on est loin, très loin de l’effervescence que connaîtra la scène à la fin des années 2010. Avec d’infinies précautions, on peut dès lors considérer Mausolei comme l’un des pionniers de la scène revival, d’abord pour sa précocité sur le plan chronologique, mais aussi et surtout pour la qualité de sa musique. Par rapport à ce que l’artiste américain a pu sortir par la suite, Halles Aus Stein est un bon album, sans plus, mais une analyse en contexte est nécessaire. Lorsque l’auditeur curieux posait pour la première fois les oreilles sur « Templum » ou « Cubiculum » — l’utilisation exclusive de l’allemand arrivera par la suite pour Mausolei —, nul doute qu’une certaine magie opérait. Halles Aus Stein, littéralement salles de pierre, était déjà riche de cette dimension extrêmement brute, à l’image évidemment de ce que la pochette annonçait à chacun.

Cette espèce de cavité séculaire, ce trou béant s’enfonçant dans les entrailles de la Terre, c’est exactement ce qu’inspire le contenu de ce premier album. Le son des claviers y est râpeux, les mélodies sont austères et répétitives. Le frisson de l’exploration est retranscrit de façon admirable. Quel est cet univers si sombre et inhospitalier ? L’effroi se mêle à la fascination, l’imagination va bon train. Par moments, le contenu de Halles Aus Stein prend même des accents ritualistes tout à fait saisissants, citons les titres « Vias Mortuis » et « Cubiculum », à mesure que l’on distingue au-delà de la texture sonore le chant de l’orgue et la litanie des chœurs. Seule l’ultime piste de ce premier album, « Pulvis », dévoile des mélodies plus engageantes — qui, pour autant, ne perdent rien de leur caractère mélancolique —, comme pour inciter le vagabond à entreprendre un nouveau voyage aux seins des galeries humides de Halles Aus Stein. Certes, un album tout juste à l’échelle du projet américain, mais un album qui aujourd’hui encore dépasse de la tête et des épaules une bonne partie de ce qui peut sortir au quotidien au sein de notre chère communauté.

Après cette première sortie d’une qualité rare, notre artiste semble avoir pris goût à l’exercice. Un peu plus de six mois après la sortie de Halles Aus Stein, Mausolei dévoile déjà son deuxième méfait, Kerzenlicht, et la rupture avec son prédécesseur est pour le moins brutale. L’artwork souterrain et énigmatique est toujours de la partie, et notre artiste choisit cette fois-ci l’allemand un peu plus que le latin pour nommer ses titres. Sur le plan sonore cependant — on préfèrera « sonore » à « musical » —, bien que Mausolei n’ait pas perdu de vue la composante dungeon synth de sa musique, la donne change. Là où Halles Aus Stein était riche d’un assemblage sonore finalement assez doux, Kerzenlicht tombe allègrement dans la noise, particulièrement dans sa première moitié. On est un peu surpris la première fois que l’on pose une oreille sur « Praesidium » ou « Trauer », mais il faut se rendre à l’évidence, l’ensemble est tout de même moins agréable à écouter. Je passerai rapidement sur ces titres cadencés au relents quasi-martiaux, qui ne sont pas vraiment à mon goût, la faute à un résultat trop agressif et trop peu mélodique. En revanche, dans la seconde moitié de l’album, quelques titres rappellent ce qui a si bien marché sur Halles Aus Stein.

Compte tenu de ce que l’on a entendu jusqu’alors, il est incroyablement plaisant de s’abandonner aux vapeurs doucereuses de « Stimmen in Der Tiefe », rapidement suivi d’un « Tenebris Flivium » moins entraînant mais riche de la même dimension contemplative, celle-là même qui avait fait de Halles Aus Stein un album si personnel et touchant. Malgré la rythmique un peu trop rentre-dedans de la majorité de ses titres, tout n’est pas à jeter sur Kerzenlicht. En premier lieu, on n’en voudra évidemment pas à l’artiste d’avoir tenté des choses, surtout maintenant que l’on sait ce qu’il a pu sortir par la suite. Ensuite, les ultimes titres rappellent que Mausolei est un artiste hors pair dès lors qu’il s’agit de mettre au monde une musique lente, rêveuse et dépaysante, le tout sans se priver de la rendre dense au possible grâce à un assemblage de sonorités dont les caractéristiques impressionnent toujours autant. C’est tout ceci qui fera par la suite de Mausolei un projet si important pour le dungeon synth.

  • Deuxième partie
    Ende des Werges, Auftakt, Nocturne
  • Troisième partie (à venir)
    Letzte Worte, Anonymität, Vorposten
  • Quatrième partie (à venir)
    Horizont, Dungeon in the Toundra

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