La pauvreté au service de l’évasion

by Secluded Copyist

Ce sentiment, tous les amoureux de dungeon synth le connaissent. À l’écoute d’un titre champêtre aux mélodies particulièrement bien amenées, un charme tout particulier vient s’installer dans l’esprit de chacun. Certains titres en particulier me viennent en tête à cet instant précis, et ils sont signés Fief, DIM ou encore Saturne. Ceci, c’est la marque des différents projets qui se revendiquent d’un courant nouveau du dungeon synth. Revival pour certains, dungeon synth tout à fait normal pour d’autres. Voire rien de comparable aux velléités habituelles du dungeon synth au sens traditionnel du terme, comme de l’avis de votre narrateur. Néanmoins, ces albums sont là et monopolisent à juste titre un paysage musical qui fait la part belle aux productions doucereuses et léchées. Mais c’est mettre un peu vite de côté tout ce qui fait la force du dungeon synth old school.

Si vous avez l’habitude de me voir grogner à ce propos, vous devez connaître ma position sur le sujet, à savoir celle qui veut qu’une bonne partie de la scène actuelle (pour ne pas dire la majorité) ne fait que de la musique orchestrale sous une étiquette dungeon synth qui ne lui sied guère. Inutile de revenir outre mesure sur la question, déjà largement développée dans un autre article publié il y a à peine plus d’un an. Il sera ici question du potentiel d’évasion d’une musique qui se veut infiniment plus pauvre techniquement, j’ai nommé tous ces albums qui, pour le coup, appartiennent réellement au courant dungeon synth, mais le courant le plus sombre, old school, répétitif et impénétrable. Et afin d’illustrer notre propos, penchons-nous sur un album qui symbolise tout ceci à merveille.

Il y a deux ans quasiment jour pour jour, le projet américain Snarling Clearing mettait au monde sa toute première sortie, intitulée Bastards’ Prison et composée de quatre titres sur cassettes, deux sur sa version digitale. Bien évidemment, n’ayant pas réagi assez vite, à l’époque, pour me procurer l’une des dix cassettes mises en jeu, j’avais dû me contenter des deux titres proposés sur BandCamp. Mais quels titres. Il est peut-être redondant de toujours me voir ériger le même album en exemple, mais sa dimension en fait à mon sens l’une des références en matière de dungeon synth bourdonnant.

Le titre introductif de la démo résume assez bien le propos dont il est question. Sur celui-ci se trouvent près de sept minutes de sonorités drone à peine changeantes entrecoupées de percussions qui semblent assez lointaines. Et ensuite ? C’est tout. Rien d’autre que ces deux choses ne viendra égayer quelque peu ce fameux titre. Mais alors la question est la suivante, quel est l’intérêt, au fond, d’une musique si crue, si décharnée, si vide de tout artifice ? En un sens, elle se rapproche d’ailleurs de la dénomination dark ambient, bannière sous laquelle étaient justement cataloguées bon nombre de sorties dungeon synth avant que ce terme ne soit justement créé. Son intérêt réside dans quelque chose qui va au delà de la musique.

Lorsque l’on écoute un album de dungeon synth revival aux sonorités éclatantes et orchestrales, l’atmosphère n’a aucun mal à faire son action. La musique se montre bien plus riche, plus technique dans un sens, et n’a plus de synth que le nom. En un sens, l’auditeur n’a rien à faire, sinon s’allonger et fermer les yeux, pour ressentir pleinement ce dont la musique est capable. En revanche, dans le cas du dungeon synth traditionnel, l’auditeur doit se donner les moyens d’apprécier un album, il doit lui-même créer les conditions nécessaires à un album pour que ce dernier puisse dévoiler tout son potentiel d’évasion, peu importe ce que cela implique dans les faits

Au risque de raconter ma vie, je vais prendre ma propre expérience à titre d’exemple. J’ai eu la chance, par le biais de mes études, de vivre en Norvège durant un an, qui plus est à deux pas des forêts de Fantoft. Mes pérégrinations m’ont très régulièrement amené à parcourir ces bois, de jour comme de nuit. Imaginez-vous donc un instant dans cet endroit à la nuit tombée, une réelle atmosphère mystique se dégageant des lieux (rappelons qu’à cet endroit se trouve l’église en bois de Fantoft, une réplique certes, vous savez pourquoi, mais l’atmosphère y demeure très prenante).

Rien ne se trouve alentour, si ce n’est les imposantes montagnes qui bordent Bergen. Et vous êtes là, à errer sans réel but, du dungeon synth, old school au possible, passant en boucle dans votre casque. Ce que l’on peut ressentir à ce moment-là est une expérience très particulière, mais évidemment très impressionnante. L’exemple que j’ai pris touche au dungeon synth aux sonorités drone, mais on peut tout à fait considérer que la chose marche avec du dungeon synth plus médiéval (toujours avec des sonorités assez électroniques) ou plus proche du dark ambient (au sens plus moderne).

Pour conclure cette image, l’album (que l’on qualifiera de traditionnel) que vous pourriez écouter ne prendra tout son sens que si vous lui donner les moyens de le faire. Les aléas de la vie ont fait que je me suis retrouvé en quelques mois de Bergen à Paris, et je n’ai pas eu l’occasion de ressentir ici ce que j’ai pu ressentir là-bas, justement parce qu’il est quasiment impossible de créer de bonnes conditions d’écoute dans une ville telle que la capitale. Les divers albums que j’ai pu écouter en boucle sur place ne parviennent plus à me faire le même effet qu’auparavant. Mais alors, parlons-nous bien là d’un genre musical à part entière ?

Certains pourront effectivement me faire remarquer que si ce genre de musique a besoin d’un contexte bien précis pour exprimer tout son potentiel, c’est qu’il souffre de bien des lacunes. Je préfère y voir une forme d’imperfection qui est inhérente au dungeon synth traditionnel et qui force ses auditeurs à façonner eux-mêmes le cadre propice à la bonne appréciation de ces albums. Et c’est principalement la raison pour laquel le dungeon synth véritable est un genre musical si particulier, et qu’il occupe un place de choix dans le coeur de ses adeptes. Au risque de passer pour un élitiste, il faut mériter, d’une certaine manière, le dépaysement que les meilleurs albums du genre sont capables d’offrir.

C’est ainsi que s’achève un article très personnel mais qui comporte, j’en suis convaincu, une part de vérité sur ce que sont capables d’offrir les albums les plus sombres, les plus imparfaits, et les plus pauvres (jusqu’à un certain point cependant). Si votre discographie n’est composée que des albums les plus mélodieux et lumineux du genre, essayez donc par vous-mêmes. Munissez-vous des albums de Secret of the Forest, de Village of Dorlech, d’Oldtidensskog ou encore de Mystic Towers. Cherchez la solitude, l’exil presque, la nature, la réclusion, et imprégnez-vous de ce que tous ces artistes sont capables de faire. L’expérience vaut assurément le détour, et vous pourrez ainsi découvrir une autre facette du dungeon synth, la facette propre au vrai dungeon synth.

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