Erang – A Season…

by Secluded Copyist

Avec un retard significatif, l’automne fut l’occasion pour votre narrateur de se plonger dans la dernière création de l’immense Erang, création étant ici un terme qui ne reflète finalement que peu ce dont l’artiste français s’est fait le géniteur au printemps dernier. Une fresque consistante a vu le jour sous la forme de cinq petits albums-chapitres, chacun ayant une identité technico-thématique bien marquée. Cette « lettre d’amour au dungeon synth » n’est pas passée inaperçue, loin de là, et constitue probablement l’un des plus gros travaux qui ait vu le jour au sein de notre très cher genre musical. Pour diverses raisons, les Seasons d’Erang sont un chef d’œuvre et, déjà, un classique absolu.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, ayons au moins un mot pour les cinq pochettes qui illustrent les cinq saisons d’Erang. Si le lien entre artwork et contenu musical ne saute pas aux yeux – sauf peut-être dans le cas de A Season of Frost et A Season of Magic –, mesurons notre chance d’avoir sous les yeux cinq pochettes d’un goût exquis, chacune bercée par des tons et une lumière qui lui sont propres. Un personnage trône en son centre, systématiquement toisé par la majestueuse influence des deux astres inhérents à l’univers d’Erang. Cinq artworks finalement assez simples, mais dont le trait et les couleurs subliment à merveille la musique qu’ils illustrent.

Sans mettre les pieds outre-mesure dans l’univers fantastique créé par l’artiste – domaine dans lequel je crains d’avoir des lacunes –, ayons au moins un mot pour chacun des chapitres dévoilés avant d’en analyser le contenu. Si l’on suit la chronologie conseillée par l’artiste en personne, les hostilités doivent commencer avec A Season of Frost, une ode au dungeon synth originel et aux « cassettes poussiéreuses du passé ». Il sera suivi de A Season of Leaves, hommage au savant mélange entre dungeon synth et black metal cher à un duo que nous connaissons bien. Viendront ensuite A Season of Sand, petit album très audacieux sur lequel nous nous attarderons plus longuement, et A Season of Bloom, dédié au dungeon synth à sonorités folk. Enfin, les accents célestes de A Season of Magic viendront clore cette expérience unique.

Très vite, on est agrippés par les cuivres de « At the Gates of Lobrok ». A Season of Frost met parfaitement le doigt sur ce qui fait le charme du dungeon synth traditionnel. Les titres sont riches en sonorités denses et simples, le genre qui berce et fait voyager sans mal. Même le black metal fait son apparition sur le très bon et étonnamment intimiste « Les sentiments puissants ». On peut également citer « Dungeon Synth Til I Die », et notamment sa première moitié, dont le grain et les sonorités me ramènent personnellement au très estimable Sagenhaft. Quant à elle, la deuxième moitié du titre, aux accents plus doux et délicats, semble faire office de transition vers A Season of Leaves. On apprécie beaucoup de trouver, à la toute fin de ce premier chapitre, les quelques mots utilisés par Andrew Werdna en 2011 pour définir le dungeon synth. Joli clin d’œil.

Justement, ce deuxième chapitre surprend à plus d’un titre, mais son alchimie fait mouche sans forcer. Composé à la manière d’un hommage à Summoning et Bathory, A Season of Leaves est riche de ce fameux mélange entre dungeon synth et black metal que beaucoup d’artistes tentent de reproduire, mais que très peu maîtrisent comme leur mentors. Non content de servir à ses ouailles quatre titres très équilibrés, Erang y met également son grain de sel en prenant le parti de rendre l’ensemble plus mélodieux et immersif. Tantôt sautillants, tantôt lancinants – le riff qui poind au milieu de « Le loup, la chouette et le vent » est d’une profondeur remarquable –, les quatre titres de ce deuxième chapitre surprennent dans le bon sens du terme et permettent d’apprécier le talent de mélodiste de notre artiste.

Le changement d’ambiance est radical lorsque l’on s’attaque aux titres typés new age de A Season of Sand. L’ambiance revêt de suite une dimension plus calme et songeuse. Les titres sont ici fortement influencés par un certain nombre de genres musicaux électroniques qui font la part belle aux rythmiques lentes et aux mélodies répétitives. Signalons à ce titre que « Camel Caravel » aurait sa place sur n’importe quel album de lo-fi ou de vaporwave. Et ça, c’est beau, vous en conviendrez. Il est toujours question de dungeon synth, aussi étonnant que cela puisse paraître, bien qu’il soit ici acceptable de ne pas totalement adhérer à la démarche. Dans tous les cas, l’audace force franchement le respect.

A Season of Sand est un objet musical non identifié qui devrait faire naître la perplexité. Au lieu de ça, on est littéralement happé par l’enchaînement des titres old school et on se laisse porter par la vague cotonneuse qui en émane. La position centrale de l’album au sein des quatre autres chapitres renforce cette impression pour l’auditeur de passer un moment hors du temps, hors de l’espace. Tout à coup, le dungeon synth traditionnel est très loin. Est-ce un problème ? Assurément non. Après tout, Scrying Glass met tout le monde d’accord en se montrant encore plus effronté. Quoi qu’il en soit, on est scotché par ce troisième chapitre, et on y revient souvent, comme laissés incrédules par ce gros quart d’heure de pure rêverie. Le plus riche et poussé des cinq albums.

Après un tel voyage, il faut presque se mouiller la nuque pour revenir à des considérations plus simples, à savoir la dimension folk du dungeon synth. A Season of Bloom s’ouvre sur les notes ondoyantes d’une guitare, au cœur d’une scène qu’on imagine aisément boisée et champêtre. Faire du dungeon synth à consonance folk sans tomber dans le trop plein instrumental n’est pas donné à tout le monde. Pourtant, Erang parvient sur ces quatre titres à se montrer intimiste et mesuré. On croit entendre le bruit des feuilles, le souffle du vent. Les instruments à cordes sont accompagnés dans leur tâche par tout un tas de petites subtilités qui renforcent le caractère pictural et lénifiant de A Season of Bloom. Une très belle manière de continuer le voyage.

Le temps passe vite, trop vite. Il est déjà temps de passer au tableau suivant, en l’occurrence celui de A Season of Magic, dont la pochette intrigue beaucoup. C’est bien simple, c’est au cœur de ce chapitre que seront contées les mélodies les plus poignantes, les histoires les plus émouvantes. Le climat est infiniment plus aérien que sur les quatre autres albums qui donnent corps aux Seasons. À ce titre, « The Absolute End of Everything Human » est d’une beauté et d’un tragique absolus. On sent que la fin du voyage est proche. On a terminé de gratter les cordes d’une guitare au bord de la forêt, on a fini d’explorer cette petite grotte sombre à la sortie du village. A Season of Magic vient nous raconter ce que le dungeon synth a de plus insaisissable, de plus énigmatique, sans jamais négliger la beauté inhérente à l’univers d’Erang. Les accents ritualistes sont très réussis et viennent sacraliser la fin d’un voyage époustouflant.

Chaque élément de cette fresque à cinq entrées peut être appréhendé individuellement, et c’est même conseillé dès lors que l’on souhaite creuser tel ou tel chapitre en particulier. En revanche, seule une appréciation globale des Seasons d’Erang pourra permettre à chacun de mettre le doigt sur ce qui fait du projet français une entité si marquante dans le dungeon synth. Quelqu’un qui n’aime pas les Seasons ne peut aimer le dungeon synth, pour la simple et bonne raison qu’elles regroupent tout ce qui fait que ce genre musical a su rassembler, transporter, faire rêver et voyager ses adeptes depuis des années. Tout y est : la fantasy, les références médiévales, la parenté avec le black metal, les hommages à de grands noms du genre, les sonorités folk, les éructations rampantes, les divagations new age et électroniques au sens large, l’éthéré, le religieux… Les Seasons d’Erang sont le dungeon synth.

Que dire de plus ? Ce serait un euphémisme que d’affirmer que l’artiste français a simplement fourni un bon travail. Ces cinq tableaux n’auront de cesse d’émouvoir les amoureux de dungeon synth, quels qu’ils soient et qu’importent leurs appétences. Il n’est ici plus seulement question d’Erang. Les Seasons nous ramènent directement à notre rapport au genre musical dans son entièreté. On sourit, on rêve, on ressent le frisson de l’exploration. Les Seasons permettent tout cela à la fois, et Erang doit être chaudement félicité, à la fois pour cette création titanesque, mais également pour sa contribution au dungeon depuis toutes ces années. Ni plus ni moins que du grand art.

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