Alcest – Écailles de Lune

by Dantefever

Neige, c’est celui qui est passé par les groupes qui ont fait date en France au moment où ceux-ci ont fait des choses marquantes. Pas d’opportunisme ici, au contraire, cela voudrait finalement dire que le musicien un talent indéniable et que cela se ressent dans les productions des groupes dans lesquels il s’est investi. Voyez plutôt. Les démos de Peste Noire qui ont constitué la matière de fond de La Sanie des Siècles, les premiers enregistrements de Mortifera, et l’unique album éponyme d’Amesœurs, qui avait un temps d’avance et proposait du black mâtiné de post punk et de shoegaze. Même maintenant, il continue à apparaître sur des productions de qualité comme la première sortie de Déluge. Tout ça pour dire qu’avant que son projet solo ne devienne son activité principale, Neige avait déjà bien prouvé qu’il savait y faire.

Justement, Alcest. Le fleuron du post black français, et qui pèse aussi beaucoup dans le monde entier, détesté par les puristes mais défendus par ceux qui y voient une avancée salutaire du black, révèle toute sa capacité à susciter des émotions, à invoquer beauté et mélancolie contemplative, et à se faire intimiste et personnel. Pour ma part, je ne suis dans aucun des deux camps. Le post black ne me parle que rarement, surtout en ce qui concerne sa tendance un peu frêle, mais les quelques albums et artistes du genre que j’aime me touchent tout particulièrement. Et Alcest en fait partie.

L’album s’ouvre sur le morceau éponyme, coupé en deux partie d’une dizaine de minutes chacune. La première, assez extatique et presque béate, avec ses mélodies presque enjouées, la seconde plus puissante et évocatrice, avec ses premiers cris black et ses trémolos, finissant sur une accalmie acoustique sublimée par les vocalises de Neige. Une très belle ouverture, connaissant son apothéose sur son deuxième versant, les mélodies un poil trop joyeuses de la première partie ayant tendance à moins me parler que la maestria plus mélancolique de la seconde, construite en decrescendo. Néanmoins, on ne peut nier que les riffs sont foutrement bien construits et que les passages acoustiques chers à Neige, comme on peut le voir sur tous les albums d’Alcest, s’intercalent parfaitement entre les parties électriques. Le reste de l’album suit son cours avec le morceau incontournable de l’album, ʺPercées de Lumièreʺ, dont le titre décrit à merveille le riff d’introduction en arpège saturé, et ses deux couplets, sur lesquels Neige nous renvoie son chant écorché à la tronche juste avant d’arriver à un pur moment de bonheur.

La suite arrive avec « Abysses », morceau ambient composé par Fursy Teyssier, ancien musicien de Amesœurs et illustrateur pour nombre de bons groupes dont les albums sont majoritairement sortis chez Prophecy Records, qui affirme la couleur aquatique de l’album. Nous avons ensuite « Solar Song », très sympathique mais rompant un peu, justement, avec ce thème. Le morceau est très agréable, mais trop lumineux et éclatant pour coller avec le reste de l’album. Je l’aurais personnellement mieux vu sur Les Voyages de l’Âme. Enfin, le disque s’achève avec « Sur l’Océan Couleur de Fer », long morceau acoustique qui se montre très contemplatif. Nous parvenons à visualiser l’immensité de la surface océanique, baignée de lumière par une lune blanche. Le morceau est beau, émouvant, et le final, sur lequel s’entrecroisent une fois de plus les vocalises de Neige et la mélodie, nous donne des frissons. Niveau production, rien à dire. Nous entendons tout parfaitement et les guitares ne sont pas faiblardes, comparées à d’autres albums du même style, qui ont tendance à mettre ces dernières un poil trop en retrait, je pense notamment à l’album Moonlover des américains de Ghost Bath.

Que faut-il donc retenir de cette analyse pompeuse ? Tout d’abord, que Neige sait composer, et surtout chanter. Avez-vous déjà entendu une telle voix ? Mais encore, sauriez-vous la caractériser ? Ensuite, il faut relever la littéralité bluffante des morceaux, nous touchons presque à la musique descriptive. Tous semblent réellement contenir, entre les notes, les images et émotions que Neige avait en tête, et dont il donne un aperçu dans les titres des morceaux. Et, là encore, nous touchons peut-être l’un des seuls défauts de l’album. Dans un album si homogène, fluide et évocateur, des mélodies comme celles de la première partie de la première partie de « Écailles de Lune » semblent déplacées, à l’instar du titre « Solar Song ». Ce n’est pas mauvais, c’est même très bon en soi, juste un peu hors sujet vis-à-vis du reste de l’œuvre. Écailles de Lune est un album marquant auquel on aime revenir, pas sirupeux ou larmoyant, mais bien enclin à l’émotion et à la contemplation. Un bel album en vérité.

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