Dark Dungeon Festival J2

by Secluded Copyist

Après avoir passé la matinée sur les routes de la province de Liège pour s’adonner à une espèce de vadrouille touristique hasardeuse, direction Anthisnes pour la seconde journée de réjouissances proposées par le Dark Dungeon Festival. L’enthousiasme est à son comble. Pour la première fois, je m’apprête à assister à des représentations scéniques de dungeon synth. Quid de la mise en scène ? Quels artiste ses démarqueront par leur audace ? Par leur charisme ? Par leur choix de setlist ? Les possibilités semblent infinies, et chacun est impatient de voir de quel bois sera fait cette longue et passionnante journée.

Sous un soleil magnifique, les spectateurs convergent peu à peu vers le Château de l’Avouerie. En bas, les stands des labels sont déjà promptement installés et explorés. En haut, passé le gros escalier de bois massif, la salle principale fourmille déjà de techniciens, de bénévoles et d’artistes, alors que les membres de Depressive Silence préparent d’ores et déjà leur prestation, qui doit intervenir sur les coups de 23 heures. Côté mise en scène, ça promet déjà beaucoup. Une fois les Allemands satisfaits, le premier artiste à se produire en début d’après-midi prend possession de la scène. Félix, tête pensante du projet Vampire Tower, met en place une modeste installation faite de chandelles, de bougies et d’une simple table nappée. Si l’on en croit la sacro-sainte science du running order, Vampire Tower est le moins rutilant des projets à se produire aujourd’hui. Et pourtant, il met tout le monde d’accord.

Débarquant sur scène habillé tel un organiste prêt à faire rugir sa soufflerie, le violoniste baroque de formation s’installe et entame son concert avec la plus grande des minuties. Le style de Vampire Tower est assez reconnaissable par le caractère sombre de sa musique et par l’assemblage assez impressionnant qui est à l’origine de chaque sonorité. Ainsi est caractérisée sa prestation sur scène. Avec une rigueur académique qui attire tous les regards, Félix fait sonner clavier et séquenceur pour moduler une espèce de longue plage musicale d’une demi-heure. Difficile de distinguer le moindre titre sorti au préalable, peut-être même s’agit-il d’une vaste improvisation. Dans tous les cas, l’ensemble est vivifiant, rythmé, varié. La demi-heure que représente la prestation de l’artiste défile à une vitesse folle, et chacun est comme hypnotisé par le climat à la fois mystique et exaltant mis en place par Vampire Tower.

Une fois le set terminé, les acclamations sont nourries et Félix semble ravi, de façon fort légitime. L’entrée en matière était d’une qualité impressionnante et l’on reconnaît là la patte d’un musicien au bagage conséquent. Il faudra faire fort, très fort, pour venir se placer derrière Vampire Tower. Un certain changement d’ambiance peut être observé avec l’arrivée sur scène de l’artiste danois Pafund. Évoluant dans un registre autrement plus orchestral et épique, le Danois se contente d’un attirail plus simple que celui de son prédécesseur. En revanche, bien qu’armé d’une cagoule noire masquant la totalité de son visage, il arbore une authentique queue-de-pie qui ne manque pas de faire son petit effet. Au fond de la scène est diffusée une suite décousue d’images provenant vraisemblablement de vieux films de fantasy. Après tout, le dungeon synth est un genre musical très pictural.

Le début de la prestation est très agréable. Jouant les titres les plus accrocheurs de son dernier album, The Orchid of Life (Heimat Der Katastrophe, 2022), Pafund installe d’emblée une atmosphère passéiste et un brin épique qui transporte le public sans mal. Son jeu de scène est plus expressif et il ne manque pas de remercier les spectateurs pour leurs applaudissements au terme de chacun des titres joués. Ceci étant, on pourra déplorer un net manque d’intensité au milieu du set. Au début et à la fin, l’artiste a la bonne idée de jouer ses titres les plus vivants – « The Township of Fourways » et « Fighting the Serpent » en tête –, mais entre-temps, force est de constater que le rythme retombe, la faute à l’interprétation d’une suite de titres très atmosphériques sans réelle nuance. Quoi qu’il en soit, la prestation est très réussie et montre que Pafund est le géniteur d’une discographie riche et qu’il est très agréable d’explorer.

Nouvelle pause, moment choisi pour aller saluer pour la trente-deuxième fois les joyeux compères d’Ancient King Records, toujours enclin à discuter avec les festivaliers intéressés par leur stand. Plongée dans son art, Rose s’adonne quant à elle à la calligraphie avec grand plaisir et se voit frappée de stupeur lorsqu’on lui propose d’être rétribuée pour la réalisation d’un semblant de logo. Trop occupé à mondaniser avec tous les membres présents de la scène dungeon synth française, votre narrateur arrive un peu tard devant la scène – ou du moins, aussi près que le permet la foule déjà conséquente – pour assister au concert d’Archierophant, projet au style orchestral particulièrement aérien.

Si Vampire Tower et Pafund avaient fait un effort de mise en scène, ce n’est malheureusement pas le cas du musicien britannique. Mais alors pas du tout. Aucune tenue particulière, aucune décoration d’aucune sorte, aucun habillage pour la table sur laquelle repose son matériel. Ce dernier est simplement constitué de son clavier, de sa bière et de son Mac. Au dos de ce dernier, on distingue même un autocollant à l’effigie de Las Vegas qui n’a que peu à voir avec les considérations très lointaines propres au dungeon synth. Pour l’immersion, c’est manqué. Chassant de mon esprit l’image d’un télétravailleur en fin de semaine, je me concentre sur la musique d’Archierophant.

Conformément aux attentes, la prestation du Britannique est lente, vaporeuse et riche en titres longs et atmosphériques. Pour peu que l’on se perde un peu dans ses pensées, l’ensemble est rêveur et montre une inclination prononcée pour les longues nappes de clavier. Un style qui peut vite atteindre ses limites sur scène, surtout compte tenu du dénuement avec lequel l’artiste livre sa représentation. Mais on préfère profiter du moment au son d’une musique qui émeut profondément sur album et dont il est intéressant d’avoir un aperçu sur scène. Si Archierophant met en place un climat recueilli – voire religieux – très agréable, Tales Under the Oak est sur le point de tout balayer en ricanant.

Même sans se faire la remarque sur le moment, on pouvait déjà pouffer en jetant un œil au running order de la journée du samedi. Voir Tales Under the Oak jouer juste après Archierophant, c’est comme éternuer à répétition dans une église au beau milieu des vêpres. Loin de moi l’idée de me montrer péjoratif à l’égard de la musique du projet allemand, que j’aime par ailleurs beaucoup, mais il faut avouer que l’enchaînement vaut son pesant d’or. Et pour cause. Tales Under the Oak n’est pas The Knights of Gob, mais ses mélodies sautillantes et ses ambiances plus légères font sourire lorsque l’on vient d’assister à une prestation hautement aérienne telle que celle d’Archierophant.

Avant même de commencer à jouer, l’artiste allemand semble déjà s’être beaucoup diverti à préparer sa prestation. Il arrive sur scène affublé d’un imposant chapeau pointu sur lequel est accroché un rouleau de parchemin. Via le vidéoprojecteur est diffusé en arrière-plan son logiciel Reaper. Une erreur de manipulation ? Que nenni. Comme convenu, les titres joués sont les plus accrocheurs du répertoire. Il est également amusant de voir la moitié du public s’asseoir face à la scène, comme pour mieux écouter les Tales contées par ce narrateur comique. Ce dernier se permet même de faire participer le public en le faisant taper dans les mains, renforçant ainsi cette impression prégnante de se trouver face à un concert pour jeunes enfants.

Une prestation très réussie, largement soutenue par un public visiblement adepte des sympathiques histoires de crapaud dont Tales Under the Oak s’est fait l’illustre géniteur. De nouveau, le décor change radicalement en vue du set concocté par An Old Sad Ghost. L’artiste autrichien, Lord Sargeburt de son nom, débarque sur scène tel que pourrait le faire n’importe quel musicien de black metal, c’est-à-dire avec veste à patchs, corpse paints de qualité et capuche vissée sur la tête. Petite subtilité, il jouera debout – c’était déjà le cas pour Pafund – avec un keytar en bandoulière. Lui aussi fait le choix de diffuser des images aux motifs plus ou moins abstraits en arrière-plan. L’ensemble a déjà beaucoup d’allure.

J’ai toujours eu beaucoup de mal à suivre la cadence infernale imposée par An Old Sad Ghost, artiste hyper-productif s’il en est, bien que sa musique ait a priori tout pour me plaire sur le papier. Sur scène, la curiosité est ainsi à son comble. Le set de Lord Sargenburt est assez différent de ceux des artistes précédents. Son style musical, plus abrasif et plus électronique, tranche avec les sonorités plus douces et plus enchanteresses des autres projets ayant joué jusqu’alors. Seul sur scène mais bientôt rejoint par deux porte-bannières portant un masque aux motifs ésotériques – difficile de les qualifier autrement, ils font le pied de grue un drapeau en main –, l’artiste prend lui aussi le parti de servir à ses ouailles une seule longue piste atmosphérique aux nuances plus ou moins marquées.

Le set est atypique, tout au moins sur le plan stylistique, et satisfait grandement le public. Voilà un artiste qu’il va me falloir redécouvrir avec attention. Une fois chacun remis de ses émotions, il est temps d’assister à un set un peu particulier. Figurant sur l’affiche mais absent de la scène à proprement parler – je refuse de croire qu’il ne se trouve pas parmi les spectateurs –, notre immense Erang national a préparé pour le Dark Dungeon Festival une espèce de petit court métrage musical dans le plus pur style erangien. Une fois le moment de sa diffusion venu, de nouveau, tout le monde s’assied devant la scène, face au drap blanc qui fait office de réceptacle pour le flux vidéo du vidéoprojecteur.

Il est difficile de parler de narration, ou même de trame. La structure décousue de l’ensemble rend délicate toute tentative de regarder cet objet artistique comme un film lambda. Ce que l’on apprécie grandement en revanche, c’est la succession délicieusement kitsch de plans et de titres qui narrent le parcours très estimable d’Erang depuis la sortie de son tout premier album, en 2012. Au sein du public, on compte sans doute de très nombreux adeptes de dungeon synth qui ont structuré leur apprentissage du genre avec les innombrables albums d’Erang. Pour ma part, ce fut avec l’excellent Within The Land Of My Imagination I Am The Only God. Ainsi, quelle ne fut pas mon émotion d’entendre retentir dans la salle le sublime « By The Starlight », entre autres titres marquants.

On se trouve finalement face à une œuvre que l’on imagine sincère et très personnelle pour Erang, mais qui ne manque pas de retentir en chacun. Ayons enfin un mot pour les talents de monteur de l’artiste, qui est parvenu à donner vie à un petit film d’une demi-heure et à faire en sorte qu’il capte l’attention avec une facilité sans pareille. Du Erang dans le texte, du très grand Erang. Profitant de ma place aux abords de la scène, je choisis d’y rester vissé le temps que tout le matériel d’Old Tower y soit installé. Est-il seulement nécessaire de l’écrire de nouveau, l’ambiance est encore sur le point de changer, Old Tower étant probablement le projet le plus sombre à se produire sur scène ce samedi.

Encapuchonné dans un large vêtement qui semble d’ailleurs gêner ses mouvements, The Specter vient se placer derrière son clavier alors que son acolyte se positionne derrière les tambours, juste à côté d’un imposant gong. Pour la troisième fois de la journée, le public a droit à un set sous la forme d’une longue piste atmosphérique savamment travaillée par The Specter à l’aide de son matériel, malheureusement invisible aux yeux du public. Old Tower me surprendra toujours par sa capacité à rendre ses sonorités épaisses et denses au possible. On pourrait presque toucher ce qui s’échappe des grosses enceintes, tant le son est lourd et condensé. La marque de fabrique du projet néerlandais, à n’en pas douter.

Outre cela, la mise en scène demeure assez neutre. À deux reprises, l’un puis l’autre des musiciens présents sur scène viendra derrière le micro, armé d’un antique grimoire, afin de réciter quelques paroles obscures d’une voix d’outre-tombe retravaillée. Comme plusieurs autres artistes dans la journée, Old Tower diffuse en arrière-plan des images ésotériques qui illustrent – il faut le souligner – parfaitement sa musique. Bien que la notion du temps soit aux abonnés absents à ce moment de la soirée, l’heure tourne. Il est ainsi déjà temps pour l’ultime prestation de la soirée d’être préparée face à un public qui prend très tôt position aux abords de la scène, ne laissant à votre narrateur que de maigres meurtrières pour observer la scène.

Un sacré décorum est alors installé sur scène, avec deux grandes parois cachant les deux claviéristes, ainsi qu’un nouveau gong, deux fois plus gros que celui d’Old Tower, qui dormait jusqu’à présent dans un coin. On remarque assez vite que le line-up sera conséquent. Il est en réalité composé du même line-up que la veille, lors de la prestation de Mightiest, avec un claviériste en plus. Un micro trône même au centre de la scène. Chacun à leur tour, les musiciens investissent la scène, saucissonnés dans de larges tuniques noires qui cachent absolument tout de leurs caractéristiques physiques. Tout juste distingue-t-on une fine fente pour que chacun soit en mesure d’y voir clair. Arrivant en dernier sur scène et pieds nus, Olli manipule tant bien que mal un encensoir dont les volutes ne tardent pas à embaumer la pièce.

Toute cette mise en scène comporte de forts accents ritualistes plutôt étrangers au style musical de Depressive Silence. Mais vous connaissez le goût de votre narrateur pour les artifices olfactifs. Un peu d’encens sur scène, et on pourrait me faire admettre d’assister au meilleur concert de toute ma vie. Pour ce qui est de la musique, qui nous intéresse en premier lieu, le groupe fait les choses en grand et propose évidemment au public ce qui a fait la renommée du groupe. On citera les titres « Forest of Eternity » et « Dark Side », et même « Blood Drip From My Sword », issue du répertoire de l’illustre projet Gothmog, dont Ral est aussi le géniteur. Le set s’achève sous des acclamations nourries, le public est comblé. Cela pouvait difficilement mieux se passer.

Le festival étant maintenant terminé, il s’agit d’en dresser le bilan. Outre les concerts, qui furent évidemment une franche réussite – même si l’on retiendra naturellement la programmation du samedi au détriment de celle du vendredi, plus anecdotique –, la grande force de la première édition du Dark Dungeon Festival aura été de rassembler les personnalités liées de près ou de loin au dungeon synth. Comme je l’écrivais dans le live report de la veille, le dungeon synth est par essence un genre musical qui se vit seul, dans son coin, derrière son synthétiseur ou son écran d’ordinateur. Il y a près de sept ans que je suis avec attention ce genre musical, et le Dark Dungeon Festival a été une occasion absolument formidable de passer du temps avec des passionnés qui ont été l’objet de riches échanges à distance depuis des années. Rien que pour cela, ce Dark Dungeon Festival restera à jamais gravée dans la mémoire de nombre de ses spectateurs.

Une dernière photo de famille en compagnie des membres de la scène dungeon synth française, et en route. Pour moi comme pour beaucoup, il est temps de faire ses adieux à Anthisnes et à son château exceptionnel pour rentrer chez soi. La première édition du Dark Dungeon Festival a tenu toutes ses promesses et bien plus encore. Venus de contrées parfois très lointaines, les spectateurs et différents acteurs ont sans nul doute vécu un moment rare au sein des murs épais du Château de l’Avouerie. Une question subsiste, aurons-nous à nouveau l’occasion d’assister à l’événement l’année prochaine ? Je ne peux me résoudre à l’inverse. À l’année prochaine !

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