Tyrant Fest 2023 J1

by Secluded Copyist

Pour la sixième fois, le metal extrême va prendre possession du cadre exceptionnel offert par le 9-9 bis à l’occasion de la tenue du Tyrant Fest. Situé au cœur de la région minière du Pas-de-Calais, ce site si particulier va de nouveau offrir un décor très approprié à la tenue d’un festival tel que celui auquel nous assistons aujourd’hui. Première édition depuis 2018 pour ma part — de nouveau sur une seule journée, toutefois —, il me tarde de découvrir si le fameux Métaphone permet toujours aux artistes de dégager la même puissance sur scène. En route pour l’édition 2023 du Tyrant Fest.

Tel un cliché un peu trop tenace, c’est un temps pluvieux particulièrement maussade qui accueille les festivaliers en ce samedi, en début d’après-midi. Cela étant, sans faire injure aux paysages décharnés du bassin minier, il faut admettre que la pluie et le vent siéent alors particulièrement au lieu et à l’événement qui doit s’y dérouler. Toujours aussi saisissant, le 9-9 bis — le numéro des deux anciens puits de mine — est l’écrin parfait pour accueillir le déroulement du Tyrant Fest. Il offre en effet beaucoup d’espace en extérieur ainsi qu’un vaste espace culturel. Tout comme l’année dernière, l’affiche de l’événement s’est quelque peu diversifiée, même si le black metal semble être resté sa composante principale. D’aucuns, moi y compris, trouvent l’affiche un peu légère. C’est ce que l’on s’apprête à découvrir.

Après un bref tour des lieux, notamment du côté des inévitables stands de merchandising, il est déjà l’heure d’investir le Métaphone pour la première prestation de la journée, à savoir celle de Deliverance, groupe français officiant dans un registre sludge teinté de black metal. Peu sensible aux affres pesantes inhérentes au genre, je me positionne face à la scène sans attentes particulières. Dès lors, il m’est difficile d’être objectif, tant j’ai du mal à entrer dans la musique du quatuor. La mise en scène est assez classique et l’attention semble converger en direction du jeu de scène torturé de Pierre, qui gère à la fois le chant et le clavier, ce dernier ayant peine à être entendu.

En effet, le début du set est marqué par la présence très forte de la guitare d’Étienne, si bien que la musique de Deliverance, par ailleurs plutôt riche en sonorités diverses, a du mal à faire mouche auprès du public. Le tir sera toutefois corrigé par la suite. Sur le plan musical pur, les titres qui ont le plus de succès sont les plus rythmés et ceux qui sont bien pourvus en riffs lourds et accrocheurs. La prestation se déroule finalement de façon très fluide, devant un public clairsemé mais satisfait de cette entrée en matière réussie.

Je me permets désormais de prendre place sur le balcon, pile dans l’axe de la scène, pour suivre de loin la prestation d’un groupe dont la venue m’intrigue particulièrement, Pénitence Onirique. Révélés en 2016 à l’occasion de la sortie de leur premier album, les Français investissent la scène du Métaphone pour asséner leur black metal atmosphérique à sérieux relents ésotériques, devant un public cette fois un peu plus garni. Ce ne sont pas moins de six musiciens affublés d’un masque rutilant — parmi lesquels trois guitaristes — qui viennent se positionner face au public. Le ton est donné, la musique de Pénitence Onirique sera riche et saturée.

Conformément aux attentes, l’ambiance change du tout au tout et laisse s’exprimer des riffs plus aériens et enveloppants. Au micro, Diviciacos fait montre d’une certain prestance et capte une bonne partie de l’attention du public, alors même que ses chants se perdent dans le marasme d’un Métaphone très largement acquis à la cause des membres du groupe. Outre Cult of Fire, Pénitence Onirique était l’autre représentant du vaste registre ritualiste dont le black metal sait se faire le garant. Si la prestation du groupe français est évidemment beaucoup moins riche en artifices, on retiendra un climat étonnamment percutant, contrairement à l’impression que laissent les albums du groupe. Ce qui est toujours une excellente chose.

Les suiveurs de la formation originaire de Chartres ont même droit, à la fin du set, à l’un des titres donnant corps à l’album qui vient de voir le jour, Nature Morte. Avec une certaine émotion, j’étais curieux de la prestation de cette entité mystérieuse qui a accompagné mes débuts dans le webzinat. Je ne ne suis pas déçu le moins du monde, bien au contraire. De nouveau, l’ambiance est sur le point d’être bouleversée au sein du Métaphone — était-ce trop demandé de voir Pénitence Onirique introduire Cult of Fire ? C’eût au moins été cohérent. Au lieu de cela, Karras et son death metal à relents crust est sur le point de violenter son audience.

Notez bien, au passage, que je fais du Métaphone mon unique repaire pour la journée. À tort ou à raison, il m’a été difficile de m’enthousiasmer pour les trois groupes programmés dans cet espace annexe qu’est l’auditorium, à savoir Witching, Nature Morte et Mütterlein. De plus — je parle de nouveau sous l’auguste contrôle de mes lecteurs —, je crois me souvenir que ledit auditorium n’offre que peu de place au public, raison pour laquelle je n’essaie même pas d’y satisfaire ma curiosité.

Karras, donc. De nouveau, à la manière de l’effet procuré par Deliverance, mon appétit est tout juste éveillé à l’idée de voir se produire le représentant — au demeurant tout à fait estimable — d’un genre musical que je ne goûte que trop peu. Que ne me suis-je méfié davantage ! Sans même prendre le soin de dire bonjour, Karras délivre les titres dévastateurs à une cadence inhumaine. Crust oblige, les titres sont courts, tranchants, on a à peine le temps de prendre la mesure de la rythmique que l’on doit déjà composer avec un nouveau passage à tabac. Trois quarts d’heure durant, le moins que l’on puisse dire, c’est que ça tabasse.

Karras a également le mérite de faire se remuer la fosse pour la première fois aujourd’hui, bien que l’on n’attendait évidemment pas cela de la part des groupes l’ayant précédé. Du côté de la scène, les trois musiciens, particulièrement proches du public, adoptent un jeu très communicatif qui ne manque pas de faire des émules parmi les spectateurs les plus remuants. Juché derrière son micro et son imposante basse, Diego harangue la foule lors des brefs moments de répit qui font office de transition entre chaque titre. Derechef, la prestation semble aller à la vitesse de l’éclair. Si Karras n’est pas le genre de groupe que j’ai le réflexe d’écouter sur album, son style se prête à merveille à la scène, et le public du Métaphone semble être du même avis.

En vue du spectacle habituellement proposé par Cult of Fire, je prends dès à présent mes précautions et me positionne juste devant la scène pour suivre le groupe précédent le set des Tchèques, en l’occurrence Otargos. Je suis d’autant plus curieux de voir ce que va donner le concert du quatuor que je l’ai déjà vu sur scène en 2015 — avec un line-up sans doute différent. Depuis, le groupe a fait du chemin et a sans doute mûri, notamment par le biais de la sortie de son dernier album, Fleshborer Soulflayer.

Dès l’arrivée des musiciens sur scène, un climat post-apocalyptique s’installe dans le Métaphone. On pense au décorum, mais surtout aux tenues arborées par chacun des quatre musiciens. Le batteur porte d’ailleurs une espèce de masque-respirateur particulièrement imposant, qu’il ne mettra pas bien longtemps à délaisser pour se concentrer sur son jeu. Du reste, on retient qu’Otargos est le premier (le seul ?) groupe de la journée à proposer à son audience un black metal réellement agressif qui permet de dresser un pont tout trouvé entre Karras et Cult of Fire. Quasiment sans accroc — on note simplement que la guitare d’Astaroth fait des siennes à mi-parcours —, Otargos enchaîne les titres bien sentis et dégage une réelle aura depuis la scène.

S’appuyant notamment sur un jeu de lumière efficace et sur leur prestance naturelle, les quatre musiciens de l’entité bordelaise donnent vraiment l’impression de livrer une prestation professionnelle et très carrée. Saluant intérieurement le moi d’il y a huit ans, je mesure le chemin parcouru par le groupe. Une fois le set terminé, pas de temps à perdre, il faut faire place nette et installer tout l’attirail qui caractérise les concerts de Cult of Fire. Plus ou moins perplexe quant au succès du groupe sur album, je me dois en revanche d’avouer mon affection particulière pour ses concerts, toujours hauts en couleurs et monopolisant tous les sens ou presque. Un peu d’encens sur scène et je suis déjà au paradis. Dès lors, imaginez ce que je peux penser d’un groupe tel que Cult of Fire.

Une fois le traditionnel rideau mis en place pour occulter la mise en place du décorum, les techniciens s’affairent, et l’on distingue bien vite les deux imposantes têtes de cobra, désormais symboles des prestations du groupe. Le public se masse cette fois-ci bien plus aux abords de la scène. Dès que le rideau révèle la scène aux spectateurs, chacun peut s’adonner à la contemplation d’un cadre particulièrement coloré et rendu un brin énigmatique par les épaisses et enivrantes volutes d’encens qui envahissent d’ores et déjà la salle. Au centre de la scène trône une table richement décorée et sur laquelle sont disposés un certain nombre d’éléments destinés à appuyer les quelques rituels en passe d’être réalisés par Vojtěch Holub.

Tous les regards convergent d’ailleurs vers ce dernier, une fois que tous les musiciens ont investi les planches, en grande partie grâce à l’impressionnante paire de cornes d’inspiration bovine qui culminent tout en haut de son costume. Musicalement, le constat est toujours le même : on a l’impression d’avoir devant soi un Cult of Fire infiniment plus énervé que celui que l’on connaît sur album. Le répertoire accorde une place particulière à toute une ribambelle de titres dévastateurs, notamment tirés d’Ascetic Meditation of Death. Trônant derrière son parangon d’autel, Vojtěch Holub anime la cérémonie en multipliant les manipulations rituelles — et en adoptant notamment par deux fois des gestes qui rappellent ceux de la pûjâ.

Fasciné, le public se répand en acclamations entre chaque titre. Cult of Fire donne l’impression de s’adonner à un exercice qu’il maîtrise à la perfection, et qui me fait infiniment plus d’effet que lors de la venue du groupe au Throne Fest 2022. Certaines choses se passent parfois d’explication. L’émotion que peut me procurer sur scène un groupe que j’apprécie tout juste sur album en fait partie. Les Tchèques ont encore de très belles années de représentation devant eux.

L’heure tourne, et il est déjà temps de se positionner pour assister au concert de la tête d’affiche de la soirée, l’inénarrable Enslaved, auréolé de son statut de groupe majeur de la scène black metal norvégienne. Groupe majeur, vraiment ? Je dois l’admettre, mon affection personnelle pour le groupe dépend quasi-exclusivement de ses premiers albums, disons jusqu’à Eld. Problème : les setlists récentes du groupe incluent une immense majorité de titres tirés des derniers albums, à commencer par Heimdal et Utgard. Fort naïvement, j’imagine alors la possibilité que le groupe aille puiser plus loin dans sa discographie. Que nenni.

Ma position est délicate. D’un côté, Enslaved fait preuve d’une prestance exemplaire sur scène, enchaînant les titres — récents, donc — avec un charisme qui force le respect, ayons au moins la déférence de le saluer. En revanche, difficile d’accrocher complètement à des titres que l’on n’apprécie pas plus que ça. Pour être servi, il faut attendre la toute fin de la prestation et le titre « Allfǫðr Oðinn », tiré de Hordanes Land, sorti en 1993, mais remis au goût du jour en 2018 à l’initiative du label By Norse Music. Peut-être suis-je l’un des rares à m’abreuver uniquement des premières productions des Norvégiens, auquel cas je m’incline face aux choix réalisés pour la tenue du concert. Quand bien même, une pointe de déception est palpable.

Malgré ce dernier concert en demi-teinte (sur le plan purement personnel, entendons-nous), le bilan de cette première journée est plus que positif. Compte tenu de mes réserves sur la qualité de l’affiche — visiblement partagées par une partie des spectateurs —, il faut admettre que les groupes ont très largement répondu présent. On sait le secteur culturel très impacté par la flambée des coûts en tout genre, mais attention à ne pas trop délaisser le black metal, qui a donné ses lettres de noblesse à l’événement et qui fait se déplacer les spectateurs de la région, et de bien plus loin encore.

Outre cet aspect évidemment primordial, le Tyrant Fest réalise un sans faute absolu partout ailleurs. Le cadre est toujours aussi saisissant, des produits de qualité sont servis aux soiffards et aux affamés, et les quelques événements annexes (randonnée, projection, spectacle pyrotechnique) sont bienvenus pour enrichir l’expérience sur le week-end et satisfont toujours grandement les festivaliers qui y participent. En ce qui me concerne, pas de deuxième jour, mais je suivrai avec avidité et attention les annonces de l’année prochaine. À très vite !

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