- Article initialement publié sur Heiðnir Webzine
Peu d’albums mais une excellente réputation toute méritée pour Trogool, artiste américain de dungeon synth et de musique de fantasy. Nous nous proposons aujourd’hui une interview de l’artiste dirigée conjointement en compagnie de Noz Pagan Magazine.
Bonjour Bryan. Merci d’avoir répondu favorablement à cette demande d’interview, commençons par le début… Je n’ai pas pu trouver d’informations sur ton projet sur internet, peux-tu en présenter la genèse ?
Bonjour et merci d’avoir pris le temps de réaliser cette interview. J’ai tendance à trouver l’origine des choses difficile à décrire. C’est aussi simple que : « un jour je me suis réveillé et j’ai eu envie de faire un album de dungeon synth. » J’ai toujours été intéressé par la perspective de composer ce genre de musique, et j’ai essayé pendant plusieurs années. Entre 2013 et 2015, j’étais moi-même dans une période de redécouverte musicale après avoir terminé quelques projets, et j’ai décidé de me mettre sérieusement à la musique orchestrale virtuelle. J’ai remarqué ce cela demandait beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, mais je ne savais pas réellement comment faire les choses convenablement, tout comme j’ignorais qui écouterait ma musique. J’étais alors en train de me rééduquer musicalement et de faire de réel progrès lorsqu’un ami me fit découvrir Arath. Après avoir découvert Ararth, Murgrind et Grimrik, j’étais en quelque sorte encouragé à trouver quelque chose de bon et de bien présenté qui était dans la même veine de ce que je voulais obtenir, et j’ai senti qu’une audience avait été trouvée pour ma musique.
Auparavant, je suivais de près la face « new wave » du dungeon synth, mais je n’ai rien trouvé d’aussi intéressant que dans la période Era 1 de Mortiis, ou les autres genres ambient, symphoniques ou folk que j’écoutais déjà. De façon intéressante, mon idée initiale était de faire une espèce de synth FM, un peu comme Abandoned Places, qui est pour moi le plus mémorable des projets de new wave que j’avais écoutés à ce moment-là. Mais mes habitudes musicales étaient trop mélodiques et dynamiques pour ce genre d’approche, donc je me suis naturellement retourné vers la musique orchestrale que je faisais déjà.
Mon choix dunsanien (adjectif faisant référence à Lord Dunsany, l’un des pères de la fantasy moderne, et à la fantasy qui s’en inspire, ndlr) et portant sur d’autres thématiques similaires n’était pas arbitraire non plus. Comme beaucoup de fans de metal j’étais très intéressé par les groupes ayant exploré des thématiques mythologique et fantastique, mais je n’étais peut-être pas suffisamment suffisant à l’aise avec ça. Mes propres concepts et paroles étaient très personnels, même lorsqu’ils venaient d’autres sources. Mais je voulais faire une pause avec la musique comprenant des paroles, donc le moment semblait être venu d’explorer ce qui pouvait marcher et ce qui ne pouvait pas au sein d’un cadre dans lequel je devais travailler. La littérature a toujours été une grosse influence, et j’ai toujours trouvé les histoires dunsaniennes de Lovecraft (et par extension le travail de Dunsany lui-même) très inspirantes pour la musique instrumentales. J’ai continué à travailler sur ces idées, par intermittence, et finallement ça a fonctionné.
Comment décrirais-tu ta musique à quelqu’un qui n’a jamais écouté Trogool ?
J’utilise généralement des termes simples tels que fantasy music ou musique symphonique/orchestrale, ou je décris avec les termes épique et atmosphérique, et je laisse les gens se faire leur propre opinion. Je suppose que ça dépend des gens.
Quels sont les artistes qui ont fait naître en toi l’envie d’être musicien ? Par extension, quelles sont les sources d’inspiration qui se cachent derrière Trogool ?
Je pense que, comme pour beaucoup de monde, mes inspirations viennent de très loin dans mon passé, et ne sont probablement pas très prévisibles. Je suis à peu près sûr que j’ai commencé à vouloir faire de la musique très jeune. J’ai toujours adoré la musique de mes films et jeux vidéos préférés, et j’ai vite compris la connexion qu’il existe entre la musique et les autres types de médias. J’aimais déjà beaucoup la musique au sens large quand j’étais jeune avant de découvrir le metal, mais bien sûr, il s’est passé quelques années avant que je m’identifie réellement comme un gars metal souhaitant jouer comme un broyeur. Je m’y suis mis sérieusement quand j’ai eu ma première guitare, à dix ans. Je voulais être aussi bon qu’Eric Johnson, malheureusement je n’ai toujours pas appris « Cliffs of Dover. »
Comme j’ai toujours aimé les bandes originales et la musique orchestrale, j’ai naturellement gravité autour des groupes de metal intégrant ces éléments à leur musique. L’un de mes plus anciens souvenir est celui de m’être fait emporter par la copie de l’album de Celtic Frost To Mega Therion, que j’avais prise à mon frère quand j’avais douze ans. Les cuivres, les guitares et les timbales faisaient effet. Je ne m’attendais pas à cela. Lorsque j’étais adolescent j’ai été impressionné par les titres non metal de Finntroll et Bal-Sagoth, qui faisaient office d’intro et d’outro, et qui étaient presque comme des pistes au sein d’autres pistes que l’on pouvait fredonner au même titre que les pistes conventionnelles. J’avais dit à un ami que cela serait génial qu’un artiste construise uniquement sa musique autour de cela et il me proposa de me pencher sur Mortiis.
Je dirais que ce fut un moment charnière dans ma vie, lorsque mon intérêt pour la musique orchestrale virtuelle décolla. J’ai commencé à essayer de comprendre comment c’était fait et comment ça pouvait être fait. Cela me donna une espèce de voie à suivre alors j’étais toujours assez naïf. Les gens mentionnent souvent Basil Poledouris comme l’une de mes influences, et c’est absolument vrai. Mais tout ce qui touchait à l’épique, à la fantasy et à l’atmosphérique était dans ma ligne de mire à l’époque. J’ai été profondément marqué par Jurassic Park et par sa bande originale à l’âge de huit ans je dirais. À ce moment-là, une chose que j’aime évoquer parce que c’est le moment le plus inspirant de ma vie, mon frère me montra le jeu de SNES Ogre Battle – The March of the Black Queen alors que je devais avoir six ou sept ans. Encore maintenant, la majorité de la musique de ce jeu sonne comme de la magie pour moi.
Le travail de Tolkien est très régulièrement cité en référence, aussi bien dans la scène metal que dungeon synth… Mais Trogool s’inspire d’un auteur moins connu en France et en Belgique, Lord Dunsany. Pourquoi ce choix ?
Comme je l’ai dit plus tôt, l’approche dunsanienne n’est pas arbitraire. Tolkien est merveilleux, mais tant d’artistes s’en inspirent déjà… Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir besoin d’ajouter quoi que ce soit. Je préfère écouter la musique inspirée par Tolkien que d’en faire par moi-même. Tolkien est peut-être moins une source d’inspiration évidente pour moi, mais j‘ai souvent regardé les peintures sur l’univers de Tolkien de Roger Garland pour m’en inspirer.
Il y a beaucoup d’auteurs et de thèmes dont je voudrais m’inspirer, mais tout a marché pour l’instant. Je ne voulais pas choisir quelque chose au hasard pour faire du dungeon synth. Je voulais que ça soit un peu plus profond que ça, parce que je travaille mieux quand il y a une réelle connexion avec quelque chose, même si c’est un concept simple ou une image. J’essaie toujours de faire les choses peu importe ce qui vient à moi.
Quand j’avais quinze ans, j’ai emprunté quelques livres de Lovecraft à un ami, et c’est comme ça que j’ai découvert le style dunsanien. J’ai été totalement pris par le Cycle du rêve, que j’ai relu à plusieurs reprises depuis. Dunsany est venu un peu plus tard, après avoir assimilé Lovecraft et obtenu un diplôme en écriture et littérature. Dunsany me donna plus de ce style poétique et rêveuse que j’aimais tant. Le flou, le langage poétique, l’atmosphère générale… Tout fait un travail énorme pour stimuler mes flux créatifs. C’est plutôt littéraire, et les idées les plus profondes sont contenues dans des expressions mémorables parfaites pour illustrer des titres.
Le mot « Trogool » provient du travail de Lord Dunsany. Il est brièvement expliqué dans la chronique à propos d’In the Mists Before the Beginning ce que cela signifie. Mais qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Trogool personnifie des concepts que je trouve très intéressants. Dans le livre Les Dieux de Pegāna, Trogool et son livre sont au-dessus des Dieux, ils représentent une force inexorable, impersonnelle, et qui ne peut être contrôlée par qui que ce soit, homme ou dieu. Je trouve aussi quelques parallèles intéressants entre Trogool et le travail de certains auteurs tel que Joseph Campbell, ainsi que d’autres mythologies. Dunsany est souvent plutôt précis avec ses Dieux, mais Trogool – qui n’est pas un dieu – est connu dans de nombreux régions sous de nombreux noms. Ce qu’il représente se situe au-delà de toute représentation ou de toute adoration.
C’est un thème que j’explore constamment, cette idée qui veut qu’il y ait quelque chose qui nous pousse continuellement à créer et explorer, mais qui ne peut être directement connue ou comprise. Campbell appelle ces choses les masques de Dieu. Évidemment ça n’est pas le cas à 100% chez Dunsany, parce qu’il nous a déjà donné beaucoup de dieux assez simples. Mais Trogool ajoute des perspectives à l’univers de Dunsany. Il est comme une force de la nature. Le personnage Temps est aussi un peu comme Trogool, mais Temps est plus calculateur et malicieux, Trogool existe simplement.
Lorsque j’ai commencé à réfléchir à ce projet, j’étais certain de ne pas vouloir quelque chose de banal. Je voulais qu’il ait sa propre personnalité. J’ai travaillé avec Wappenschmied sur le logo et on était d’accord sur le fait qu’il faille éviter les mjöllnirs ou ce genre de chose. Je suis fier de ce qu’il a fait, je pense que c’est une belle représentation visuelle de ce qu’est réellement le projet. Je suppose que Trogool en tant que personnage reflète mon besoin inné de tout rendre compliqué et existentiel. Mais je pense que ça laisse aussi de la place à la variété en n’étant justement pas trop spécifique avec les thématiques. Ma musique n’a donc pas à rester fidèle à quelque chose de précis, donc c’est plus facile de la garder fraîche et nouvelle.
En laissant le travail de Dunsany de côté, je suis presque sûr que la littérature fantastique est une grosse source d’inspiration pour toi. Peux-tu nommer trois livres que tu recommanderais à nos lecteurs et qui t’ont particulièrement marqué ? Que lis-tu en ce moment ?
En ce moment je lis surtout des écrits académiques, à savoir The Song of the Earth par Jonathan Bate, et je suppose que j’ai déjà recommandé Dunsany et Lovecraft. Mais même si c’est dur d’en choisir trois, voici trois séries dans une veine fantasy ou science-fiction :
1) L’Arcane des Épées, de Tad Williams (qui commence avec Le Trône du Dragon)
2) Cycle de Terremer, d’Ursula K. Le Guin (qui commence avec Le Sorcier de Terremer)
3) Les Cantos d’Hypérion, par Dan Simmons (qui commence avec Hypérion)
Quand j’ai vu que tu étais originaire de l’Illinois, j’étais plutôt surpris. Les inspirations médiévales viennent principalement des traditions européennes… Es-tu déjà venu en Europe ?
Je suis venu en Europe une seule fois quand j’étais jeune. Malheureusement je ne suis pas revenu depuis. Je suppose que mes intérêts sont juste européens ! Je ne considère par Trogool comme étant réellement médiéval cependant. Fantasy est plus approprié je pense.
Si ce n’est pas trop indiscret, quelles sont tes convictions philosophiques et spirituelles ? As-tu déjà vécu une expérience spirituelle qui pourrait expliquer l’aspect mystique de ta musique ?
Je pense que j’en ai déjà fait mention en parlant de Trogool et de Joseph Campbell. Je n’ai pas de foi ou de croyance spirituelle, juste des idées philosophiques. Je ne crois en aucun dieu, mais je suis très intéressé par les aspects psychologiques et métaphoriques de la créativité humaine, et comment l’on voit et interagis avec le monde. Les gens disent souvent que le fait d’expérimenter la nature est spirituel, et je suis plutôt d’accord. J’aime toujours passer du temps dans la nature et j’apprécie les longues randonnées dans de beaux coins sauvages.
Beyond the River Skai est pour moi l’un des meilleurs albums de dungeon synth sortis à ce jour… Travailles-tu sur un nouvel album ?
Merci ! Je suis content que tu l’apprécies. Oui, la troisième sortie de Trogool (le deuxième album longue durée) est terminée. Il y a juste quelques petites choses à régler et la sortie pourra être planifiée.
Les derniers mots sont tiens.
Encore merci pour ton intérêt envers Trogool. Gardez un oeil sur la prochaine sortie, qui verra le jour cette année. Et comme Dunsany est maintenant traduit en français, je vous souhaite une bonne lecture !
Interview dirigée par Thyl de Noz Pagan Magazine puis traduite par nos soins.