- France
- Black Metal Expérimental
- Debemur Morti Productions
- 20 mai 2022
Un peu moins de trois ans après le rafraîchissant et réussi Hallucinogen, Blut Aus Nord, immense nom du black metal, a remis le couvert au mois de mai avec la sortie d’un intrigant Disharmonium – Undreamable Abysses. Dès les premiers titres dévoilés, la volonté du projet français de revenir au son de guitare qui était le sien au début des années 2000 apparut de manière claire. Cependant, même si l’on a pu espérer un lien de parenté avec la période marquée par la sortie de The Work Which Transforms God, force est de constater que ce dernier album ne trouve que peu d’équivalents dans la discographie de Blut Aus Nord, et ce même si l’on reconnaît aisément la patte de Vindsval.
Avouons-le, les semaines qui ont précédé la sortie de Disharmonium – Undreamable Abysses ont fait naître une certaine impatience. Première sortie depuis Hallucinogen – album que j’ai appris à aimer avec le temps –, ce nouveau disque a su se faire attendre auprès des adeptes du projet français. Néanmoins, si le titre « That Cannot Be Dreamed » (dévoilé au mois de mars) a agréablement surpris par le retour en force des dissonances, quelques choix ont également interpellé. Dieu sait à quel point il m’a fallu du temps pour apprécier à leur juste valeur les pochettes des différents albums de Blut Aus Nord, mais on leur reconnaîtra au moins la chose suivante : toutes ou presque ont ce petit je-ne-sais-quoi qui attire l’œil et maintient une espèce de climat malsain chez le spectateur. Sur Disharmonium – Undreamable Abysses, la pochette – bien que magnifique au demeurant – rompt assez nettement avec la tradition du projet.
Avec ses couleurs chatoyantes et son trait cartoonesque, personne n’aurait pu s’attendre à voir un tel artwork illustrer un jour un album de Blut Aus Nord. Cependant, celui-ci donne une indication claire sur les thématiques de ce nouvel album. Au centre se trouve une masse informe dotée d’innombrables yeux et tentacules, et autour de laquelle convergent d’importantes volutes de fumée. Lovecraftien, vous dites ? Précisément. Colossale et particulièrement estimable, l’œuvre de l’écrivain américain n’inspire pas là son premier artiste, ni même le dernier. En revanche, ce qui est étonnant et un poil décevant, c’est de voir Blus Aus Nord – entité aérienne et toujours très éloignée de ce qui lui est étranger – se rapprocher de quelque chose qui le rend d’emblée moins déshumanisé. Blut Aus Nord n’a jamais existé que pour lui-même et a toujours été à part. Il y a toujours eu Blut Aus Nord et les autres. Voir le projet utiliser une inspiration extérieure de manière aussi prononcée est par conséquent un peu douloureux.
Concernant le contenu musical de ce Disharmonium – Undreamable Abysses, l’ensemble est dissonant et rappelle les albums du début des années 2000. Sans pour autant commettre son forfait avec autant de réussite. La marque de fabrique de Blut Aus Nord est ici reconnaissable entre mille, ce qui est très rassurant compte tenu des doutes que l’on a pu éprouver en découvrant la pochette de ce nouvel album. Tout est là : les chants lointains, les riffs grinçants, les espèces de voix déclamatoires, la beauté qui se dégage d’un paysage sonore lugubre et inquiétant… Ceci étant, on ne peut s’empêcher de remarquer que la majorité des titres sonnent creux, et surtout, semblent bien peu différents les uns des autres. Un élément illustre cela à merveille : le traitement de la batterie. Mis à part quelques bonnes idées sur « That Cannot Be Dreamed », les rythmiques qui cadencent chacun des sept titres de l’album sont d’une neutralité surprenante.
De manière plus générale, on pourra citer le titre « Keziah Mason » – du nom d’une sorcière de l’univers de Lovecraft –, qui jouit d’un climat bien plus anxiogène que les autres titres, et « Chants of the Deep Ones », particulièrement complet et équilibré. À l’arrivée, on sort peut-être un peu vide de l’écoute de ce dernier album. Non pas vidé, mais vide. Il y a indéniablement du Blut Aus Nord dans le texte, mais cette dernière création dégage trop peu de choses – à la première comme à la dixième écoute – pour exister auprès des monuments de la discographie du projet. Il s’agit là d’un constat un peu alarmiste qui ne doit pas faire oublier que Blut Aus Nord est l’une des quatre ou cinq plus grandes entités ayant foulé la scène black metal. Mais comme tout le monde – et c’est là le plus déchirant pour le profond admirateur que je suis –, Blut Aus Nord n’est pas à l’abri d’un faux pas.
Mon amour pour Blut Aus Nord – que je croyais inconditionnel – en prend un coup, mais il m’est difficile de percevoir ce que tout le monde trouve de si génial à Disharmonium – Undreamable Abysses. Ce n’est pas un bon album de Blut Aus Nord. Ce n’est même pas un bon album de black metal lovecraftien. Rien qu’en France, The Great Old Ones a fait bien mieux sur E.O.D. et Cosmicism… Il m’avait fallu du temps pour apprécier Hallucinogen, je crains cette fois que le temps ne change rien à l’opinion que j’ai de ce dernier album. Rendez-vous dans quelques années pour la prochaine création de Vindsval, afin de voir s’il ne s’agissait là que d’un incident de parcours. En attendant, peut-être vaut-il mieux jouir de l’indétrônable trilogie 777 ou de la fange de MoRT…