Throne Fest 2022 J1

by Secluded Copyist

Nous y sommes enfin. Ce fut long, épisode pandémique oblige, mais le Throne Fest sonne finalement son retour en cette année 2022, qui semble correspondre à un certain retour à la normale sur le plan culturel. La grande messe black metal a de nouveau lieu dans le Kubox de Kuurne, petite bourgade résidentielle des environs de Courtrai, en Flandre-Occidentale, et comme toujours – eu égard à la qualité de l’affiche –, les adeptes viennent d’un peu partout. Pour la première fois, le Throne Fest a lieu sur trois jours, et non deux, donnant l’occasion aux travailleurs faisant le pont de s’abreuver de black metal sur un long week-end.

C’est sous un soleil timide que les portes s’ouvrent pour la première fois en ce vendredi 27 mai. Vers midi et demi, les premiers festivaliers franchissent les portes du Kubox afin de se familiariser de nouveau avec un lieu qu’ils n’ont, pour la plupart, pas vu depuis quelques années. Le décorum n’a pas changé d’un iota. Les stands de merchandising sont toujours placés au même endroit – bien que l’espace qui leur est consacré n’est à cette heure guère rempli –, on retrouve d’ailleurs toujours Antiq Label placé au même endroit. Au fond, mordant sur la partie salle de concert, on trouve un large bar qui fonctionne déjà à plein régime. Très vite, il est temps pour le premier groupe de faire son entrée en scène et de lancer les hostilités, et comme en 2017, cette lourde tâche incombe à Ars Veneficium.

Les Belges entrent en scène dans une tenue parfaitement conforme aux préceptes du black metal traditionnel, arborant maquillage et veste en cuir sans manches. Si le parking semblait bien vide au moment où la salle a ouvert ses portes, la fosse se remplit davantage au moment où les premiers riffs retentissent, quarante minutes plus tard. Le son laisse beaucoup de place aux guitares, ce qui a pour conséquence de reléguer les chants au second plan, mais aussi celle de laisser au public le loisir d’apprécier les riffs très intéressants de la formation belge. Juchant son mètre quatre-vingts dix derrière le micro, Surtur anime parfaitement la prestation de son groupe malgré les difficultés que l’on éprouve parfois à entendre ses vociférations. On a beau dire, lorsqu’un musicien peut se targuer d’avoir une carrure aussi maigre et élancée, les corpse paints ont d’emblée une portée plus importante.

La mise en bouche est exquise et la grosse demi-heure qui verra le groupe investir la scène se termine à ce titre bien vite, laissant les membres de Medico Peste préparer à leur tour leur prestation. Tout juste le temps pour votre narrateur d’avaler un semblant de repas que les Polonais arrivent sur les planches affublés de capuches et de cagoules blanchies. On sent très vite que l’ambiance change. Là où Ars Veneficium avait joué la carte du black metal agressif, on sent que Medico Peste entend jouer celle du rituel plus ou moins tapageur. Arrivant sur scène après ses comparses, Lazarus porte un habit de moine, et ses gestes lents ne tardent pas à envoûter le public, le tout au son d’une musique étonnamment variée et qui permet l’installation d’une réelle atmosphère.

L’ambiance est bien plus enveloppante, notamment grâce à un son peut-être mieux maîtrisé. Les musiciens réalisent une prestation de haute volée, mention spéciale à Filip Malinowski (Monasterium), dont les lignes de basse sur « God Knows Why » ont attiré tous les regards. J’attendais fort peu de choses de la part des Polonais, mais force est de constater que le show fut très bien mené de bout en bout. De nouveau, l’atmosphère est sur le point de changer avec l’arrivée d’Ultra Silvam, ou du moins le croit-on à ce moment-là. En effet, malgré une prestation très énergique, les Suédois ont souffert d’une qualité sonore franchement désastreuse. Ma position face à la scène n’a sans doute pas aidé, de même que le style particulièrement tumultueux du groupe. Toujours est-il que le son avait été au pire convenable, au mieux très bon jusqu’alors.

Difficile dès lors de dresser une analyse objective de la prestation des musiciens. Le jeu très expressif de ces derniers a inévitablement contaminé une partie du public, bien que le chanteur ait une façon très étrange de hurler ses préceptes, dressant le micro au-dessus de sa tête et titubant l’air enivré. Peut-être peut-on simplement évoquer les passages en mid-tempo, bien plus audibles de là où je me trouve, et qui permettent d’apprécier le style extrêmement accrocheur d’Ultra Silvam. Quand bien même, c’est maigre au regard de ce que le groupe sait faire, et surtout compte tenu de la qualité de son dernier album, The Sanctity of Death, sorti plus tôt dans l’année. Grosse déception.

Malheureusement, les choses ne vont guère s’arranger avec l’entrée en scène de Black Cilice. Tout respectable qu’il soit – avec une discographie impressionnante et une allégeance à Iron Bonehead Productions –, le groupe portugais a toutes les peines du monde à rallier le public à sa cause. L’ambiance ritualiste est de retour sur les planches du Kubox, avec force fumée et tenues mystiques. Pourquoi pas. Après tout, le style du groupe s’inscrit parfaitement dans cette mouvance. Le problème, en revanche, avec le black metal ritualiste, c’est qu’il est difficile d’en faire un produit live sans compter sur la prestance des musiciens et sur tout un arsenal d’artifices destiné à faire le spectacle. Black Cilice ne coche aucune de ces deux cases.

Je suis parfaitement navré d’avoir à dresser ce constat dans la mesure où j’apprécie beaucoup le groupe sur album, mais il ne semble pas fait pour sortir de son caveau. Malgré un son parfait, le quatuor a toutes les peines à capter l’attention des spectateurs. Le jeu de scène est inexistant, aucun mouvement de la part de qui que ce soit, une prestance et un charisme qui laissent vraiment à désirer. Les vaines tentatives de la part du chanteur de faire naître un climat sombre frôlent le cliché le plus abject. D’abord armé d’une lourde chaîne, il débarque par la suite avec une lanterne, puis un crâne, ne faisant rien d’autre avec ses accessoires que de pâles mouvements. Autour de moi, les applaudissements qui ponctuent les titres sont timides, et mon voisin flamand est probablement encore en train de roupiller au moment où vous lisez ces lignes.

Je me console en attendant de pied ferme la prestation d’un groupe que je tenais absolument à voir, Warmoon Lord, entité gérée par Juuso Peltola, également derrière l’immense projet dungeon synth Old Sorcery. Dans un sens, on pourrait dire que le show de Warmoon Lord est l’exact inverse de celui de Black Cilice. Vous l’avez compris, le jeu de scène est cette fois-ci très travaillé, mais la qualité globale du son est – de nouveau – très insuffisante. En voyant arriver les musiciens sur scène, tout le monde cherche à avoir une place de choix, et pour cause. Fleurissent sur les planches de longues tenues noires, des spalières rutilantes et des bracelets sertis de clous. Pour le kitsch, on est servis, mais il faut avouer que l’initiative fait son petit effet. Au micro, Juuso Peltola arbore même un plastron et un legging argenté – on ne jugera pas, quoique.

La fracture avec Black Cilice est très vite visible. Cette vaste troupe – six musiciens sur scène au total – attire tous les regards et délivre beaucoup d’énergie auprès d’un public désormais bien garni et sorti de sa torpeur. Les premiers crowdsurfers font leur apparition, la communauté metal belge manque d’ailleurs d’un rien de perdre son cher Papy Metal, tombé de haut de piètre façon aux pieds de votre narrateur. Tout se déroule pour le mieux. Mais au fait, où sont les claviers ? Riche en frivolités, la musique de Warmoon Lord repose beaucoup sur les claviers, ils sont pourtant inaudibles dans le paysage sonore de la salle. Et une fois ce constat fait, on remarque également que les enceintes crachent et grésillent beaucoup, laissant un peu trop de place aux guitares.

En résumé, même si Warmoon Lord signe la meilleure prestation à ce moment de la journée, ce n’est toujours pas mirobolant, à croire qu’il faut pour le public faire un choix entre qualité sonore et prestation scénique. Il est temps pour moi de prendre une pause bien méritée – je comptais la prendre pendant la prestation de Black Cilice, que n’ai-je écouté mon cœur ? Tant pis pour Spectral Wound, dont je verrai simplement les deux dernières minutes, la faute à un petit temps d’avance – une fois n’est pas coutume – sur le planning de la journée. Il est désormais temps pour les Islandais de Misþyrming de remettre les choses à leur place. Déjà présent lors de l’édition 2017, le quatuor peut se targuer d’avoir pris une dimension plus importante depuis la sortie de l’excellent Algleymi en 2019. Les musiciens arrivent sur scène dans leur tenue habituelle : rangers aux pieds, treillis discret et chemise claire souillée. Sans oublier le traditionnel maquillage noir occultant une bonne partie du visage. Il ne faut aux quatre insulaires qu’une poignée de secondes pour se mettre tout le Kubox dans la poche, c’est-à-dire l’introduction de « Með Hamri », suivie des éruptifs « Orgia » et « Með Svipur á Lofti ».

Les mandales sont puissantes. Sans temps mort ou presque, Misþyrming multiplie les titres dévastateurs au cœur d’une ambiance surchauffée. Soutenus par un jeu de lumière parfaitement synchronisé, les musiciens se déchaînent et leur maquillage ne tarde pas à couler sous la chaleur volcanique qui émane de la scène. À la basse, Gústaf Evensen affiche toujours ce jeu habité qui le caractérise entre mille, et vers la fin de la prestation, D.G. se permet même d’aller se poster sur les barrières pour jouer quelques riffs au contact direct du public. Encore une grande prestation de la part d’un grand groupe de la scène black metal. Le style de Misþyrming est certes tout désigné pour remuer les salles, mais il a surtout pu compter – hallelujah – sur une qualité sonore proche de la perfection. Assurément le point culminant de cette première journée en ce qui me concerne.

N’appréciant pas particulièrement Primordial, la prestation de Sargeist est la dernière que je vois aujourd’hui. Sans nier le moins du monde la qualité du groupe ainsi que celle de sa prestation, il lui est peut-être un peu difficile, à ce moment-là, de passer derrière Misþyrming. Pour moi comme pour, probablement, quelques autres. Néanmoins, un certain effort est réalisé quant à la mise en scène, notamment via l’agitation d’un encensoir débordant de fumée en début de show, ce qui ne manque de faire grimacer quelques photographes, au contact direct des imposantes volutes parfumées. Ce genre de chose fera toujours son petit effet auprès de votre narrateur. Le son est de nouveau au rendez-vous et le groupe ne se fait pas prier pour asséner son black metal incisif avec une rigueur sans pareille. De bout en bout, une prestation très carrée, et en ce qui me concerne, une très bonne manière de boucler une première journée bien remplie.

Bilan un poil mitigé pour ce vendredi. Si les groupes que j’attendais particulièrement ont répondu présent, d’autres ont eu toutes les peines du monde à se montrer convaincants, que ce soit volontairement ou non. Le Throne Fest a déjà fait bien mieux dans la gestion de la qualité sonore, et l’on espère ainsi que les quelques problèmes seront très vite réglés pour les deux derniers jours de festival, qui s’annoncent aussi mouvementés que le premier, sinon plus !

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