In Theatrum Denonium Acte VII

by Secluded Copyist

Comme tous les ans, le début du mois de mars rime avec la tenue du sacro-saint In Theatrum Denonium, soit le pèlerinage obligatoire pour tous les adeptes de black metal des environs. Comme d’habitude, l’organisation a mis les petits plats dans les grands pour proposer à ses convives une programmation à la hauteur des attentes, et peut-être même un peu plus. Trônant tout en haut de l’affiche, Mysticum et Deströyer 666 ont fière allure. Pour compléter celle-ci, Helleruin, Bodyfarm (en remplacement de Chapel of Disease) et Déhà ne sont pas en reste. Voilà qui promet de nouveau une soirée mémorable.

Malgré une semaine très ensoleillée, c’est la grisaille qui accompagne l’ouverture des portes du splendide théâtre de Denain. Pour beaucoup de spectateurs sans doute, In Theatrum Denonium est la seule occasion de l’année de pénétrer dans le magnifique écrin. Il est toujours de coutume de parcourir les lieux durant la grosse demi-heure qui précède la prestation du premier groupe, en l’occurrence Helleruin, et de s’ébahir devant vitraux et moulures, notamment ceux de la salle du fumoir. Après avoir parcouru les galeries, fait quelques achats et s’être rafraîchi, il est déjà temps de se mettre en bonne position pour le premier concert de la soirée.

Helleruin jouit d’une réputation grandissante ces dernières années, et ce à très juste titre, son style black metal très accrocheur n’étant évidemment pas étranger à sa réussite. Quatre musiciens investissent la scène quelques instants avant Carchost, qui fait son apparition au moment de hurler sa haine en direction du public, les avant-bras garnis d’imposants bracelets à clous. Compte tenu du style du projet néerlandais, on ne se faisait que très peu de souci quant à sa faculté à réussir sa prestation sur scène. Alternant les titres dévastateurs à un rythme dingue, les musiciens profitent pleinement de ce moment passé sur scène et ne manquent pas de contaminer le public.

Marquée de nombreuses séquences en mid-tempo, la musique de Helleruin est très riche en riffs de grande qualité. Ces derniers sont d’ailleurs interprétés à la perfection par des musiciens très habiles. Au chant, Carchost adopte un jeu de scène vaguement torturé qui sied convenablement à sa musique, sans pour autant faire preuve d’une prestance débordante. Soulignons enfin la qualité du son, qui permet d’apprécier à sa juste valeur chaque élément sonore donnant corps à la musique du groupe. Bien que la chose soit forcée par des contraintes logistiques sur lesquelles nous reviendrons, il est presque dommage de voir un groupe comme Helleruin investir la scène en premier, tant sa musique aurait fait meilleure figure un peu plus tard dans la soirée. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’une entrée en matière absolument remarquable.

Inutile de quitter la salle, la prestation suivante doit suivre le plus vite possible, et pour cause. Suite à l’annulation de la venue de Chapel of Disease, l’organisation a programmé au pied levé les Néerlandais de Bodyfarm, évoluant dans un registre death metal. Bien que le groupe soit actuellement en tournée avec Deströyer 666 et Helleruin, il n’était initialement pas programmé ce soir, pour la simple et bonne raison qu’il devait déjà jouer du côté de Deinze, non loin de Gand. Vous l’aurez compris, Bodyfarm joue deux fois ce soir, et ce sera même trois concerts pour le batteur David Schermann, qui était déjà positionné derrière les fûts en compagnie des musiciens de Helleruin. C’est un métier !

Du death metal lors d’une édition d’In Theatrum Denonium, c’est inhabituel. Mais compte tenu du style pugnace et old school de Bodyfarm, je suis alors très curieux de voir comment cela va se dérouler. Fraîchement ragaillardi par la sortie de son dernier album, Ultimate Abomination, Bodyfarm se présente en position de force face à un public lui aussi impatient de découvrir le groupe sur scène. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’agressivité transmise par le groupe ne met pas bien longtemps à s’installer dans la salle. Rythmique très entraînante, riffs d’une efficacité redoutable, ça tabasse très fort depuis les planches.

Derrière son imposante basse, Ralph de Boer harangue régulièrement le public, pour un résultat mitigé. Sans doute s’attend-il à plus de mouvement de sa part, moi aussi. Il faut dire que la musique s’y prête particulièrement, mais les plus tapageurs d’entre nous gardent sans doute des forces pour le prochain groupe… Si le choix de programmer Bodyfarm en lieu et place de Chapel of Disease était évidemment motivé par des raisons pratiques, il faut admettre que l’organisation a réussi son coup. Les Néerlandais livrent une prestation de très haute volée et font office de transition parfaite avant l’arrivée de Deströyer 666. Même pour le demi-profane que je suis en matière de death metal, le concert est très agréable.

Avant que l’inénarrable Deströyer 666 ne vienne malmener le public de Denain, le premier set de Déhà doit avoir lieu. Cantonné à la splendide salle du fumoir, l’artiste belge a préparé pour l’occasion trois sets pour le public parvenant à se masser devant l’étroit espace qui y fait office de scène. Problème : compte tenu de la taille de l’espace réservé au public, impossible pour tous les spectateurs d’assister aux représentations. Tout juste entend-on de loin la mélopée qui s’échappe de cette partie du théâtre. Dommage, mais prévisible. Le fait de proposer trois sets (toutefois différents) permet au moins à tout le monde, en théorie, de profiter de la musique de l’artiste belge. Profitant ainsi d’un temps de pause conséquent, je me place convenablement pour suivre avec attention la prestation de Deströyer 666.

L’ambiance change quelque peu sur scène. Si la bâche en arrière-plan est peu visible, les pieds de micro sertis de crânes caprins sont en revanche bien mis en évidence face au public. Forts de la sortie de leur dernier album, Never Surrender, l’année dernière, les membres du groupe australien s’apprêtent à faire pleuvoir les coups sur des spectateurs qui attendent visiblement ce méfait avec beaucoup d’impatience. C’est d’ailleurs au son du titre introductif dudit album que les hostilités débutent. On remarque d’emblée que le groupe jouit, auprès de public, d’une cote de popularité autrement plus importante que les deux entités précédentes. Le black thrash survolté de Deströyer 666 ne met d’ailleurs pas longtemps à faire bouger la fosse au sein de laquelle se trouve votre pauvre narrateur, heureux d’en découdre mais bien vite à bout de souffle face à l’endurance de certains.

Sur scène, le quatuor en impose terriblement et est soutenu par un son parfait. Dans un registre très charismatique, les trois musiciens qui font directement face au public ne manquent pas de faire participer ce dernier à sa grande cérémonie. Les titres s’enchaînent, la fosse est dans un état dément, et tout le monde est absolument enchanté de voir le groupe être à la hauteur de sa réputation. De nombreux titres du dernier album sont joués, d’autres plus anciens, et c’est sous une ovation titanesque que le quatuor se retire non sans saluer chaleureusement le public, à grands renforts de révérences et de poignées de main. Si j’apprécie Deströyer 666 sur album sans pour autant lui vouer un culte, je me dois d’admettre que la prestation du groupe restera gravée dans ma mémoire pour l’énergie qu’elle aura communiquée aux spectateurs.

De nouveau, l’idée de se rendre à l’étage pour aller voir le second set de Déhà est vite abandonnée. Je préfère rester à portée de tir de la scène, qui est sur le point d’accueillir un certain nom du black metal, Mysticum. Difficile de savoir à quoi s’attendre avec ce groupe, que j’aime assurément sur album, mais dont je peine à imaginer le rendu en live, malgré quelques documents vidéo disponibles sur la toile. De nombreux et imposants spots lumineux sont installés sur scène, aussi bien au fond qu’au bord de celle-ci, ce qui relègue les musiciens à trois bons mètres du premier rang, là où les gratteux de Deströyer 666 pouvaient allègrement se faire masser les genoux par les spectateurs les plus proches. Une fois l’imposant dispositif installé, il est temps pour le dernier groupe de la soirée de faire rugir sa musique.

Aussitôt les trois musiciens sur scène, le set est entamé au son de la rythmique ultra-martiale, oserais-je totalitaire, de « Far », l’un des moments-clés de l’album Planet Satan. Mais très vite, un détail d’importance chagrine. C’est de notoriété publique, Mysticum ne compte pas de batteur dans ses rangs. Ainsi, même sur scène, une boîte à rythme est utilisée. Autant sur album, le rendu sonne artificiel sans déranger outre mesure, autant en live, lorsque les blast beats résonnent, il est toute bonnement impossible d’entendre le moindre riff. Difficile de savoir s’il s’agit d’un problème de calibrage du son ou si le black industriel de Mysticum est destiné à rester de l’ordre du disque. Toujours est-il que les riffs passent à la trappe les trois quarts du temps, y compris sur le très attendu « Lsd », dont les « Lucifer in the sky with demons » sont repris en chœur par un public pourtant conquis.

Malgré tout, la prestation a fière allure. Les jeux de lumière sont proprement éblouissants au sein du cadre splendide proposé par le théâtre. L’arrière de la scène est occupé par de vastes projections épileptiques au possible, et les musiciens semblent maîtres de leur sujet. Mention spéciale à destination de Cerastes, muscles saillants et veines palpitantes, qui carbure probablement à autre chose que la bière locale. Tout ceci est très impressionnant à n’en pas douter, mais sur le plan sonore, ça ne veut pas. Même en allant prospecter du côté du balcon, la saturation due à la boîte à rythme enveloppe tout. On en vient inévitablement à questionner le statut du groupe, qui est un nom du black metal, certes (encore que), mais peut-être pas au point de figurer plus haut que Deströyer 666 sur l’affiche de l’événement. Le final aurait sans doute été bien différent avec la formation de black thrash pour clore les débats…

Ne nous méprenons pas, malgré cette pointe de déception concernant la prestation de Mysticum, l’organisation d’In Theatrum Denonium a de nouveau réalisé un sacré tour de force. Outre Déhà, les quatre groupes programmés ce soir ont offert une soirée incroyablement survoltée et qui a sans doute ravi tous les spectateurs présents. Je me dois d’avouer avoir ressenti une certaine émotion, au cours de la soirée, en me rappelant de la première édition, en 2016, qui avait vu Melechesh faire office de tête d’affiche. L’année dernière, c’était Taake. Ce soir, Deströyer 666 et Mysticum. Le chemin parcouru est colossal et rend compte de l’importance de l’événement. Ce septième acte est une nouvelle réussite de la part de Nord Forge et le mot d’ordre demeure le même année après année : merci pour tout, et à l’année prochaine.

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