Caladan Brood – Echoes of Battle

by Secluded Copyist

Les amoureux de black metal et de dungeon synth le savent fort bien, le genre musical né de la fusion de leur deux passions rassemble nombre de groupes plus ou moins intéressants. Il est désormais de coutume de désigner ces derniers comme des entités très largement inspirées de Summoning, ce qui est en partie vrai, ne serait-ce qu’au regard de ce que le duo autrichien a initié par le biais de ses sorties. Néanmoins, au sein de la masse grouillante, il est un groupe qui brilla particulièrement par la qualité de sa musique, et ceci alors qu’il n’a qu’un seul album dans son catalogue. Près de dix ans après la sortie de son unique recueil, rendons hommage à Caladan Brood.

Je comptais l’éviter, mais il semble impossible de parler de Caladan Brood sans parler de Summoning. Loin de moi l’idée de considérer l’œuvre du groupe américain à travers le seul prisme de son homologue autrichien. Simplement, compte tenu de la dimension prise par Silenius et Protector dans l’imaginaire collectif, il semble que chaque groupe ayant un style rappelant celui du duo force la comparaison avec celui-ci. Il y a quelques années, nous avions d’ailleurs mis Summoning en balance avec Sojourner, au moment de la sortie de son excellent premier album.

Le lien de parenté entre les deux entités est particulièrement affirmé dès lors que l’on sait que la version bonus de l’unique album de Caladan Brood contenait deux reprises de Summoning. De la même manière, rappelons que le duo américain figure sur la liste rutilante des artistes ayant participé à l’excellente compilation de reprises intitulée In Mordor Where the Shadows Are, sortie en 2016 chez Wolfspell Records. Ceci étant, avant même de considérer la musique de Caladan, le groupe se distingue déjà de Summoning sur un point. Là où le duo autrichien – tout comme un certain nombre de groupes se réclamant du même style – revendique des thématiques empruntées à l’univers de Tolkien, Caladan Brood s’inspire quant à lui du Livre malazéen des glorieux défunts, série de romans fantastiques nés de la main de Steven Erikson et dont la publication s’étale entre 1999 et 2011. Maintenant que le contexte est connu, intéressons-nous de plus près au contenu musical de cet Echoes of Battle.

Comme brièvement démontré ci-dessus, il est aisé de lier Caladan Brood à Summoning, mais il est également intéressant de constater que le duo américain s’éloigne finalement assez nettement du groupe qui l’a sans doute beaucoup inspiré. En laissant son affection de côté, on pouvait reprocher beaucoup de choses à Summoning, parmi lesquelles la médiocrité du son et le manque d’équilibre de certains albums. Caladan Brood balaye tout cela d’un revers de manche. Le son d’Echoes of Battle est très propre, les guitares et la batterie sonnent très juste, de façon à renforcer l’immersion de l’auditeur au sein d’une véritable fresque, qui dure – rappelons-le – plus d’une heure. Une heure et quart pour six titres, faites le calcul, cela donne quelque chose d’incroyablement riche et consistant.

On peut parfaitement s’émouvoir du manque d’épaisseur des claviers, tout comme on peut reprocher à l’ensemble de verser, par moments, dans le trop-plein théâtral. Sur ce point, les adeptes d’un son plus sale et authentique se retrouveront évidemment dans certaines productions plus anciennes, chez Summoning ou ailleurs. Mais pour les esprits curieux, cet Echoes of Battle est une bénédiction et rappelle que les artistes évoluant dans ce style peuvent tout à fait se démarquer de leurs homologues, ce qui n’est pas gagné d’avance compte tenu de la grande étroitesse stylistique qui sépare chaque groupe. Même si cet album est à prendre avant tout comme un ensemble à part entière, il demeure intéressant de disséquer chacun des six titres qui lui donnent corps.

Si les premières notes du titre introductif rappellent aux adeptes de la série des Elder Scrolls le thème principal de Morrowind, on peut affirmer sans sourciller que Caladan Brood a un univers musical bien à lui. Trois titres dont la durée oscille autour des dix minutes, trois qui approchent le quart d’heure, cela laisse tout le loisir à nos deux artistes de faire varier les ambiances et les sonorités, et ils le font très bien. Chaque titre présente le schéma suivant : omniprésence des claviers (cuivres et instruments à vent la plupart du temps) et importante composante black metal. Bien qu’Echoes of Battle brille par sa beauté et sa nature hautement picturale, les riffs et les chants éraillés permettent de donner encore plus d’épaisseur aux titres de l’album. Mais ce qui structure le plus ces derniers, ce qui achève d’émouvoir n’importe quel auditeur de Caladan Brood, ce sont les chœurs.

Sur « City of Azure Fire » et « Book of the Fallen », pour ne citer qu’eux, des chœurs masculins de toute beauté viennent ponctuer les passages atmosphériques avec brio. Fédérateurs, solennels, épiques mais finalement assez peu guerriers, ces chœurs font indubitablement d’Echoes of Battle un album remarquable. Pour en revenir à la participation de Caladan Brood à la compilation In Mordor Where the Shadows Are, il n’est pas surprenant ce voir le duo reprendre le titre « Farewell », tant les chants clairs y sont importants. Outre cette composante majeure, cet album est rempli de moments d’extase absolu. S’il est difficile de sortir un titre plutôt qu’un autre, citons au moins « Wild Autumn Wind » qui est de l’avis de beaucoup l’un des titres les plus touchants et les plus complets de ce merveilleux disque.

Dix ans après sa sortie, Echoes of Battle n’a rien perdu de sa grandeur. Lorsque l’on s’intéresse aujourd’hui à ce qui se disait sur cet album au moment de sa sortie, on lit avec une pointe de tristesse nombre de retours enthousiastes se réjouissant de l’arrivée d’un tel groupe sur la scène, espérant sans doute d’autres sorties à l’avenir. Il n’en fut rien, et Caladan Brood demeure, aujourd’hui encore, un duo passablement énigmatique qui s’est fait le géniteur d’un album monumental, mais visiblement condamné à rester fils unique. Il est légitime de s’en émouvoir, tout comme il est important de se satisfaire de cet Echoes of Battle et de l’honorer encore et encore.

Les adeptes de Caladan Brood ne s’y trompent pas, et on peut tout à fait leur donner raison. Au sein de la légion de groupes et de projets évoluant dans le même style musical que Summoning, les Américains sont les seuls à se hisser au niveau du duo autrichien. N’ayons pas peur des mots, malgré ma profonde affection pour Summoning, je ne vois aucun de ses albums être aussi beau, riche et équilibré que cet Echoes of Battle. La seule émanation d’un duo très talentueux, mais quelle émanation ! Pour l’éternité, un grand moment de black metal atmosphérique.

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