- Article initialement publié sur le Repère des Reclus
Salut à toi et merci beaucoup d’avoir accepté cette interview. Tu as fait cette année une arrivée remarquée au sein de la scène dungeon synth, et sans te limiter à un rayonnement hexagonal. Comment as-tu été familiarisé avec ce genre musical et sa communauté ?
Hello hello. Merci de m’accorder cette interview, de me permettre de parler un peu de mon univers musical. Je ne sais pas si j’ai fait une arrivée remarquée, de toute façon je ne regarde pas trop ça. J’essaie de proposer un peu de musique, un peu de moi-même. Si des gens y trouvent leur compte, eh bien j’en suis ravi. C’est un peu bateau, mais je ne suis pas là pour changer l’histoire de la musique, et ici plus particulièrement de la scène dungeon synth. Mais une chose est sûre, la réception du projet Wydraddear est plutôt impressionnante pour moi. Ce fut assez direct, immédiat, beaucoup de personnes ont accroché à la musique proposée, avec – et je les en remercie – de très beaux retours.
Pour être tout a fait honnête je ne connaissais pas grand chose de cette scène, de sa communauté. Aujourd’hui un peu plus, mais ça reste léger. J’ai quand même découvert de très belles choses, des albums sublimes. Je vois que les acteurs sont des gens passionnés, dans une façon de faire plutôt underground, indépendante, ce que je trouve très bien. Beaucoup proposent des cassettes très DIY, et j’adore ça. Je suis né en 1980, et la cassette est un format que j’adore, je bricolais toujours des compilations étant plus jeune, regroupais des sons avec un magnétophone, faisais mes propres pochettes… D’une certaine façon, je fais encore ça. Mais s’il faut concrètement parler du dungeon synth et de ce que ça englobe, je n’ai pas les connaissances, pas le passif ni l’histoire. J’ai lu l’interview de Garvalf, Erang, Dantefever et Maelifell sur ton webzine, et je me suis senti perdu – ce fut néanmoins très intéressant à lire. Je n’ai pas (ou peu) le même parcours qu’eux, je suis un novice dans cet univers et ça me va très bien. En tout cas, j’ai l’impression que c’est important pour beaucoup de se sentir membre de cette communauté dungeon synth, moi au final je ne fais que de la musique, bonne ou mauvaise, peu importe, je me préoccupe peu du reste.
Y a-t-il un moment charnière dans ta découverte du genre qui t’a poussé à t’essayer toi aussi à la composition ?
J’ai d’autres projets en dehors du dungeon synth, des trucs parfois très ambient, très drone, là aussi très indépendants, je sors mes propres cassettes, CD-R, toujours avec cette idée de « name your price » pour le digital. En modelant un son pour un de ces projets, j’ai abouti à cette sonorité présentée dans Wydraddear. Je me suis dit que j’allais essayer de faire un album juste avec ce son, tout en utilisant des pédales d’effet, un truc pour me marrer, un petit exercice. Il en est sorti The Castle Above The Mist. Ce fut un processus très rapide, je travaille vite en général, mais là encore plus. Ça m’a fait penser à une musique un peu médiévale, dans son approche sonore. Le style, même ambient, ne collait pourtant pas à mes projets déjà existant, donc il fallait une fois de plus créer un nouveau projet, je ne voulais pas le rattacher à ce que je propose habituellement. À ce moment là j’étais sur le Cycle Drenaï de Gemmell, ça a dû jouer. De toute façon j’avais un univers depuis quelques années en tête, je ne pensais pas le mettre en musique, mais finalement ça me permet de le développer.
Il y a quand même eu une petite envie, ou comme tu dis un moment charnière, qui a pu être le déclencheur pour un univers medieval ambient. J’avais une sortie de prévue chez Heimat Der Katastrophe, avec là encore un autre projet, pas du tout dungeon synth mais électro, et en naviguant sur leur catalogue j’ai commencé à adorer l’univers de certains albums. Ce côté jeux de rôle, fantasy. Là encore qui me renvoie à des souvenirs personnels. J’ai commencé d’autres compositions en restant dans le style musical du projet, mais en imaginant un univers médiéval futuriste, très heroic fantasy, très 80’s, une sorte de bande son pour raconter une histoire, décrire un monde. Heimat Der Katastrophe ne pouvait pas sortir cet EP, et je n’avais pas envie d’attendre, donc j’ai sorti ça en digital. En tout cas cette expérience m’a mis dans la tête que je pouvais essayer de créer un nouveau projet moins électro et plus brut, qui navigue dans un univers plus médiéval, et j’allais lier de toute façon ces deux projets.
Peux-tu nous parler de Le Gris et de Cauldron 80, tes deux autres projets en parallèle de Wydraddear ?
Oui, avec plaisir. Ce sont deux approches différentes du dungeon synth, que j’ai créées dans la continuité de Wydraddear, car ce projet seul ne pouvait me satisfaire. Dans la sonorité et surtout dans ce que ça raconte, j’y suis plus libre. Avec Wydraddear je veux raconter un univers, j’ai un son très spécifique, mais aussi des choses qui sont déjà posées, déjà écrites, des histoires et légendes d’un monde. Avec Le Gris, je n’ai pas cette contrainte, c’est un petit bonus créatif, comme de petites comptines sombres, froides. J’aime ce format très court, juste mélodie après mélodie. Cauldron 80 est le résultat de ma jeunesse. J’adore les sons 8 et 16-bits, les jeux vidéos, ce que l’on qualifie de rétro aujourd’hui, ben moi j’aime toujours autant. Beaucoup de musiques m’ont marqué et tournent encore dans ma tête et dans ce que j’écoute. Je voulais donc proposer un truc comme ça. J’avais essayé de travailler cela il y a une dizaine d’années mais j’ai vite laissé tomber car trop occupé sur d’autres projets, et peut-être pas assez motivé.
Là c’est venu d’un coup, paf, ou plutôt bip. Un morceau par soir, et ce fut plié. J’adore l’album Stronghold, j’ai depuis essayé de refaire un nouvel album, impossible, je n’y arrive pas. J’espère que ça reviendra. En tout cas, c’est un processus de composition complètement différent pour moi. Avec Cauldron 80 je travaille en software, tandis qu’avec tout le reste je reste en hardware. Le nom du projet fait référence au jeu vidéo Cauldron, et plus particulièrement au second épisode Cauldron II : The Pumpkin Strikes Back que j’ai bien exploré sur mon CPC à l’époque. Je voulais appeler l’EP d’Halloween (Creepy Fall) comme ça, mais je me suis dis que ça faisait un peu beaucoup. En tout cas, ces deux projets me permettent d’ajouter des expériences différentes à mon travail. Il existe un autre projet qui navigue dans les sphères dungeon synth, plus sombre encore, avec des relents black metal.
Wydraddear est donc le nom de ton projet principal. Chaque pochette indique la mention suivante, « Tales & Legends From Wydraddear » ; tout porte ainsi à croire qu’un univers a été construit pour servir de cadre à la musique. Peux-tu nous en dire plus ?
C’est tout à fait exact. Wydraddear est le nom d’un monde que j’ai créé – attention je suis pas écrivain, ça n’a rien de transcendant et rien n’est bien stable dans mes idées. En 2018, j’ai beaucoup roulé sur les routes d’Europe et j’ai fini par le Royaume-Uni. À ce moment là j’étais en train de relire du Tolkien. Les paysages, les édifices, la campagne, plus la lecture m’ont donné envie de créer moi aussi mon propre monde. Encore une fois sans prétention, de toute façon je n’ai pas les capacités pour aller plus loin que m’amuser avec ça. Depuis j’y incorpore des idées de lieux, de personnages, etc. Vu que je ne sais pas écrire, j’ai couplé ça à ma musique. Au moins je peux parler de ce monde sans trop en faire. J’ai une chronologie que je complète petit à petit, mais les sorties ne suivent pas cette logique, en fait elles ne suivent aucune logique.
Par exemple Were Drowned In The Flames se déroule bien avant les événements que l’on retrouve sur What Remains of Weirlohen. De mes sorties disponibles, ce sont les deux albums les plus structurés par rapport au monde de Wydraddear, les deux premiers sont un joyeux bordel avec un peu de tout. « Ylgly (The Curious) » que l’on retrouve sur Hermit Of The Great Whole est l’entité, la matière, le personnage qui a donné naissance à ce monde. Son réveil et surtout sa curiosité ont contribué sans le vouloir à cet acte de naissance. Mais le reste de l’album et des morceaux ne parlent pas vraiment de ça. J’aimerais un jour pouvoir proposer les histoires et autres légendes de Wydraddear dans un format écrit pour compléter les sorties d’albums, mais je n’aurai jamais le temps et surtout les capacités.
Et justement, puisque l’on parle des thématiques du dungeon synth, quel regard portes-tu sur l’extrême variété des projets que l’on associe maintenant de plus en plus à ce genre musical ?
Encore une fois je n’y connais pas grand chose. Je n’ai pas la prétention de pouvoir en parler. Ce que j’observe c’est que les gens sont créatifs, aiment faire voyager, partager des expériences, proposer des émotions qui leur sont propres. Je pense que le dungeon synth a cette faculté à être très direct, ce n’est pas une musique compliquée (en tout cas dans mon cas), ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas intéressant, bien au contraire, mais elle est brute et permet à beaucoup de monde de s’exprimer, même si c’est très underground – ce qui est aussi sa force. C’est vrai que l’on retrouve beaucoup de variété dans les projets. Il y a quand même cette envie de proposer des mondes imaginaires, loin de la réalité, de notre quotidien, même si je pense que certains doivent le faire. C’est très codifié en étant en même temps très libre. Les visuels, et différents travaux graphiques rajoutent encore plus à cette imagerie lointaine.
Sur le plan technique, Wydraddear se distingue par des nappes de clavier très denses et une certaine idée de l’obscurité, voire du mystère. Peux-tu nous en dire plus sur cette appétence pour le dungeon synth sombre et texturé ?
J’aime la matière, cette épaisseur sonore, qui peut être parasitaire, qui peut former une masse. Je travaille beaucoup dans cet état d’esprit. Plusieurs couches sonores peuvent apporter un changement étonnant à l’écoute. Et souvent, en combinant beaucoup de choses, on peut permettre à l’auditeur – en tout cas c’est ce que je ressens – de faire sa propre réinterprétation. Ce n’est peut-être pas clair, et c’est difficile à expliquer. Mais parfois ça permet à l’oreille de faire ses propres changements sans que la musique change vraiment. C’est une approche que j’ai avec la musique drone, et surtout ambient en général. Tu peux jouer sur beaucoup de choses en superposant divers sons, c’est ce que j’aime. Wydraddear, et la musique que je fais dans un sens plus large, n’a pas une vision très poussée techniquement, en tout cas comme on pourrait le décrire quand on parle de technique musicale. J’utilise des procédés simples, mais en essayant de bien m’approprier l’espace, la profondeur. Avec Le Gris, même si il y quelques menus détails, j’essaye justement de faire un peu le contraire. Le côté sombre découle peut-être de ce procédé. Le côté mystérieux provient de cette façon légère et particulière avec laquelle je joue. Je ne suis pas un bon musicien, mais j’essaye de dégager un style très marqué à travers mes sonorités. J’utilise beaucoup de compression, par sur l’ensemble, mais piste par piste, pour donner ce rendu final, que l’on peut qualifier de sale.
Quels sont les artistes dont tu estimes que le travail a eu une influence sur ta musique, dans le dungeon synth et ailleurs ?
Alors vaste question, très difficile d’y répondre en ce qui concerne les influences. J’écoute et je fais tellement de choses différentes, j’essaye dans mes écoutes de ne pas me limiter, je n’ai aucune honte musicale. Si j’aime, j’aime et je ne m’en cache pas. Je cherche et découvre toujours plus. C’est un besoin. Pour Cauldron 80 par exemple, je pense que c’est Kobold qui m’a redonné envie d’essayer, The Cave of the Lost Talisman est d’une puissance folle. Les idées sont incroyables, il y a une émotion très forte qui se dégage de cet album. Mélodiquement parlant c’est très impressionnant. Sinon, les musiques de films, jeux vidéo, la musique classique, ont certainement une influence dans mon approche ambient. On s’inspire de telle ou telle musique, de tel ou tel son. Je pense que c’est pas forcément intentionnel, notre oreille se modèle constamment, à chaque nouvelle chose qu’on écoute, et ça doit jouer sur la musique que l’on fait.
Tu as d’ailleurs eu l’occasion de sortir une démo en compagnie du projet Cavern – ou du moins, la démo est riche d’un titre apparemment fruit des deux projets –, s’agit-il d’un autre projet dont tu as la parenté ?
On peut dire ça. C’est ce projet que j’évoquais en parlant de Heimat Der Katastrophe un peu plus tôt dans l’interview. J’ai fait ce split avec moi-même, pas par prétention, mais je voulais lier ces deux projets. Je parlais d’un EP qui était plus dans une approche heroic fantasy, c’était l’EP The Sword de Cavern. En proposant ensuite The Breach – le split entre Wydraddear et Cavern – j’ai fait un pont entre les deux univers. On retrouve cette brèche dans la montagne adossée à la cité de Weirlohen, elle mène à Tremorworld, un futur incertain que l’on retrouve dans The Sword. What Remains of Weirlohen raconte la chute de la ville, à travers les Trois Batailles, dans un conflit de pouvoir et de ressources, qui passe par la prise de la brèche. « The Black Sword » est une arme très convoitée et les Darklords veulent mettre la main dessus, ils utilisent aussi ce conflit à des fins bien plus personnelles. Voilà par exemple pourquoi je voulais faire ce split. Je vais essayer de faire d’autres liens, mais pour le moment tout ce qui va arriver du côté de Cavern sera indépendant de Wydraddear. La prochaine sortie devrait être une bande son dédiée à Los Angeles, bien loin du monde de Wydraddear…
Jusqu’à maintenant, tu as toujours fonctionné en autoproduction pour sortir tes albums au format physique – tes cassettes sont d’ailleurs très soignées. Je suppose que tu as malgré tout été approché par des labels, la perspective de travailler de la sorte ne t’attire pas ?
J’ai pour habitude de tout faire moi même. J’aime faire de la musique, mais aussi m’occuper des visuels, des objets physiques. En général, c’est ce qui me prend le plus de temps. Je suis moins à l’aise avec ça, mais c’est passionnant. J’essaye de proposer des objets de qualités en gardant cet esprit maison. On est loin de bien des formats physiques que l’on peut trouver, mais j’essaye de m’améliorer à chaque sortie, de trouver de nouvelles idées. J’essaye de rendre ça abordable en termes de prix.
En effet, j’ai eu des approches dès la première sortie, mais je suis un peu solitaire et je voulais voir si je pouvais arriver à proposer plus de copies moi-même. Mais il va y avoir des collaborations. Il devrait y avoir une nouvelle version compilée de The Castle Above The Mist et Hermit of The Great Whole, si tout va bien sur Gondolin Records, un label qui propose de très belles choses, musicalement et physiquement. What Remains of Weirlohen devrait aussi trouver une réédition, par un autre label, avec aussi un nouvel album, mais c’est pas encore bien affirmé. Je vais quand même continuer à sortir mes propres cassettes, autoproduites. Il devrait y avoir une version de The Sword de Cavern en cassette, là aussi sur un label indépendant. En tout cas, si des labels sont motivés pour des sorties vinyles, je suis preneur. J’aimerais toucher ce format, mais il est bien trop cher pour moi.
Dernière petite question sur l’année écoulée, quels artistes et sorties retiendras-tu de 2021 ?
Beaucoup, beaucoup de choses, comme toujours. Mais je vais essayer de faire simple, donc voici mon petit top de l’année. Mon podium est constitué des albums Echoes From a Mass de Greenleaf, Pimeyttä Vasten d’Aran et In the Spires de Steve R. Smith. Et le reste sans ordre particulier : l’album Helloween de Helloween, Gegrepen Door de Geest der Zielsontluiking de Fluisteraars, Legend of Lizard Lake de Dream Division, Unholy Mimicry de Wandering Coffin, -270°C de Kombynat Robotron, The Wind de Balmorhea, Primordial Arcana de Wolves in the Throne Room, Axacan de Daniel Bachman, 2043 de Power Glove, Glow On de Turnstile, Feel the Beat de Roxi Drive et We’re All Doomed de Avenues.
La seule sortie dungeon synth est donc le Wandering Coffin, fou cet EP, le son est fantastique. J’ai écouté beaucoup de très bonnes choses folk, qui ne sont pas forcément dans mon top, mais par exemple les deux albums qu’a proposé Padang Food Tiger sont formidables. Les sorties sur le très bon label Garden Portal aussi. Le nouvel album, très récent, de Michael Hurley est génial, toujours cette légèreté, cet approche très personnelle de la folk, et ici parfois très traditionnelle. Cette année, j’ai moins écouté de hip-hop mais je retiens le fantastique mini EP de Jyroscope, très 90’s, bien comme j’aime. J’ai mis beaucoup de temps à rentrer dans le dernier Endless Boogie – alors que c’est toujours évident pour moi –, mais je trouve l’album captivant, ce son, ce procédé hypnotique, un groupe à part. J’ai beaucoup aimé Trilogy de Joep Beving, sorti chez Deutsche Grammophon. Une compilation bien dense, avec beaucoup de couleurs différentes. Inner Symphonies de Hania Rani et Dobrawa Czocher, toujours chez Deutsche Grammophon, très contemporain, facile à écouter, agréable.
Je te remercie chaleureusement pour tes réponses et te laisse le mot de la fin.
Merci à toi de m’avoir proposé cet espace. 2022 devrait apporter d’autres notes, d’autres histoires. De mon côté, je vais essayer de proposer autant de choses que je le peux, en espérant y arriver.