- Article initialement publié sur le Repère des Reclus
Parmi les sorties cinéma de la fin février se trouvent l’intrigant second long métrage de David Perrault, intitulé L’État sauvage. Auréolé d’une audacieuse étiquette de « western au féminin », le film semblait pouvoir développer une atmosphère très sombre autour du voyage d’une famille française installée aux États-Unis et devant fuir la guerre de Sécession. Cependant, malgré de bonnes idées, L’État sauvage manque de corps.
Missouri, 1893. Après une brève mais nécessaire mise en contexte sur la situation politique des États-Unis de la fin du XIXe siècle, et après une première scène dont le rôle semble d’abord flou, le spectateur fait connaissance avec les membres d’une famille française dont on ne connaît que les prénoms. D’abord, le père, Edmond, qui préfère la compagnie d’une ancienne esclave, Layla, à celle de sa femme, la froide Madeleine. Le couple a trois jeunes filles, Abigaëlle, Justine et Esther, dont le point de vue est celui que l’on suit le plus au cours du film. Le début du film conte un certain nombre d’histoires de famille et d’entourage sans grand intérêt, mais sans perdre de vue la situation entre Nord et Sud, qui fait office de toile de fond et qui va forcer la joyeuse troupe à faire ses bagages pour rentrer en Europe.
Un exil forcé
C’est après une réception gâchée par l’irruption d’une poignée de soldats bien malpolis que le père décide de s’offrir les services de Victor, effroyable cliché du cow-boy mercenaire et solitaire, qui doit escorter les six personnages jusqu’à la côte est de l’Amérique, d’où la famille prendra un bateau pour la France. C’est à ce moment précis que l’on commence à admirer, les uns après les autres, les splendides paysages où l’intrigue évolue. Tour à tour, les forêts, les rivières, les plaines et les montagnes en mettent plein la vue. Visuellement, le travail est proprement magnifique, et le voyage qui occupe une bonne partie du film prend des airs de road trip très agréable à suivre, ne serait-ce que pour rendre hommage au travail effectué par les équipes techniques. Mais si l’on attache autant d’importance aux décors, c’est peut-être qu’au fond, la coquille est plus vide qu’on ne le pense.
Bien que codifié au possible, le genre du western ne sort pas spécialement grandi de L’État sauvage. Entre prestations moyennes et scénario peu original, le western à la française qu’est le film ne parvient pas à faire naître autre chose qu’un scepticisme latent. Le paroxysme est atteint à l’occasion de scènes qui frôlent le ridicule sans l’atteindre complètement, à savoir lorsque la charrette est bloquée ou lorsque Bettie s’adonne à une grotesque danse en compagnie de ses hommes de main autour du feu.
Mystique mais inégal
Bettie, justement, est de loin le personnage le plus énigmatique du film, rapport à son passé à la fois tumultueux et charnel avec Victor, tel qu’il est en tout cas présenté au fil des événements. Ceci étant, il est trop peu exploité pour réellement servir l’intrigue, alors que cette dernière a parfois besoin d’un peu plus de peps. En revanche, si L’État sauvage parvient à ne jamais complètement ennuyer, c’est grâce à son fin traitement du mystère. Soulignons à ce titre la bande originale de toute beauté et absolument hypnotique, qui sert du début à la fin un climat anxiogène et noir au possible, qui est notamment renforcé par les masques portés par les hommes de main de Bettie. Couplée aux décors, la musique apporte énormément à l’ensemble.
Des femmes, certes, mais pour quoi faire ?
Pour en revenir au fameux « western au féminin », il est difficile de lui donner un quelconque crédit. Si les intentions initiales avaient effectivement de quoi éveiller la curiosité, le féminisme pataud que le film développe à l’approche de son terme a du mal à être pris au sérieux. Bettie se fait assommer en bonne et due forme par l’un de ses acolytes, deux des trois filles sont mortes de peur lors de la scène de la charrette, et Abigaëlle tombe vite malade comme une bête. Rien d’extraordinaire me direz-vous, mais lorsque l’on voit tous les membres féminins de la famille prendre les armes par la suite, on a de quoi rester perplexe. À l’agonie morale ou physique quelques minutes plus tôt, Madeleine, ses trois filles et Layla prennent les armes une fois les hommes de la troupe disparus pour combattre le gang de Bettie, ses membres étant d’ailleurs aussi alertes que des automates rouillés.
En clair, L’État sauvage reste un film très agréable pour peu que l’on s’en tienne à ses dispositions techniques, mais sitôt que l’on se penche d’un peu trop près sur son contenu, le bât blesse terriblement. Fil conducteur du film dès que le voyage débute, la vague idylle entre Esther et Victor fait chou blanc après l’inexplicable fuite de ce dernier, si bien que l’on se demande finalement quel message le film a voulu transmettre. Ah, ces cow-boys.
Bilan très mitigé pour le second film de David Perrault. L’État sauvage se laisse regarder sans réel accroc, mais son travail visuel et musical ont beaucoup de mal à camoufler ses manquements. À l’arrivée, on se voit servir un film splendide techniquement mais un peu balourd par son message et son exécution. Et avec un tel casting, c’est regrettable.