ΕΙΔΟΣ II : Exil

by Secluded Copyist

(Ils marchaient sans bruit parmi les pins, là où la brume encore suspendue au flanc des pierres semblait retenir le jour. Le silence n’était ni lourd ni vide : il attendait. Procopius fut le premier à rompre cette attente.)

PROCOPIUS

Je croyais m’éveiller à la lumière, mais c’est un désert qui m’accueille. Je ne ressens plus rien de ce que la foi m’offrait autrefois. Ni la paix, ni la force. Juste cette cavité béante au centre de l’être. Comme un feu éteint dont la cendre fume encore. Où suis-je tombé ?

VIRESCUS

Tu n’as pas chuté. Tu as quitté. C’est une nuance cruciale. Tu ne tombes pas lorsque tu retires ta main d’un feu froid. Tu te déprends. Tu t’exiles, non d’un lieu, mais d’une certitude. Voilà ce que tu ressens, non pas la fin de la foi, mais la fin d’un certain visage qu’elle avait pris.

PROCOPIUS

Mais pourquoi ce visage me manque-t-il ? Il était rigide, mais il me soutenait. Aujourd’hui, je n’ai plus de nom à murmurer dans la nuit.

VIRESCUS

Parce que l’humain cherche moins la vérité que la forme de la vérité. Ce qui t’a soutenu, ce n’était peut-être pas la foi, mais sa charpente. Son dogme, son rite, sa promesse. Et cette charpente, trop longtemps habitée, devient parfois prison. La nostalgie que tu ressens n’est pas mensonge, mais mémoire d’un foyer qui n’existe plus. Il faut accepter d’avoir été orpheliné.

PROCOPIUS

Alors c’est cela, l’exil ? Ne plus savoir où reposer sa tête ? Ne plus oser s’adresser à rien ni à personne ?

VIRESCUS

L’exil véritable, c’est lorsqu’on cesse de croire que le centre est encore au centre. Lorsque les anciens pôles cessent de magnétiser l’âme. Tu te tiens là, dans le silence après la foudre. Mais écoute bien. Ce silence, ce n’est pas l’absence. C’est une promesse à peine formulée. Un sol avant la germination.

PROCOPIUS

Je ne sais plus distinguer le doute de la chute, et le doute me ronge. Il ne féconde rien.

VIRESCUS

C’est que tu confonds le doute corrosif avec le doute initiatique. L’un détruit sans regard. L’autre creuse pour révéler. Le premier est bavard, il répète que rien n’a de sens. Le second est humble, il sait qu’il ignore, et c’est cette ignorance qui devient ferment. Dans les traditions anciennes, le doute n’était pas une faiblesse, mais un passage. Il menait à l’abîme, oui, mais non pour s’y noyer, pour y entendre ce qui n’a pas de voix.

PROCOPIUS

Mais si tout vacille, comment savoir ce qui brûle encore ? Ce qu’il faut sauver, et ce qu’il faut laisser mourir ?

VIRESCUS

Rien ne se sauve de force. Ce qui brûle encore se reconnaît non par le souvenir, mais par la lumière qu’il dégage en silence. Écoute ton souffle quand tu t’approches d’une idée, d’un geste, d’un texte. S’il se dilate, s’il s’accorde, alors peut-être que cela vit encore. Mais il faut consentir à laisser tomber les formes anciennes. Le serpent ne mue pas sans douleur.

PROCOPIUS

Alors, faut-il tout déconstruire ? Jusqu’à la dernière pierre ?

VIRESCUS

Non. Il ne s’agit pas de ruiner, mais de purifier. De distinguer. Les mystères véritables ne s’effondrent pas. Ils changent de vêtement. L’absolu n’a pas disparu, il a simplement quitté les temples où il était enfermé. Il est redevenu vent, image brisée, chant dans les ronces. C’est à toi de le réentendre.

PROCOPIUS

Et si je ne l’entends pas ? Si je ne suis pas fait pour cela ?

VIRESCUS

Alors, tu seras en bonne compagnie. Car nul ne l’entend tout à fait. Nous sommes tous sourds et aveugles à des degrés variables. Mais c’est dans la marche, dans l’écoute lente, que se révèle parfois une syllabe, un reflet. Le but n’est pas de posséder, mais de se disposer. Et cela, tu peux le faire. Déjà tu le fais, puisque tu demandes.

PROCOPIUS

Mais que faire de cette soif qui ne s’apaise pas ? De cette faim de sens, d’absolu, qui me fait mal au ventre ?

VIRESCUS

Ne l’apaise pas. Ne cherche pas à la combler trop vite. La soif est un feu, et tout feu éclaire si tu ne le crains pas. Ce désir de l’ultime, c’est ton trésor. L’ancien monde t’a appris à en avoir honte, ou à le canaliser en croyance préfabriquée. Mais il faut le laisser grandir, ce feu nu. Il te guidera. Il t’ouvrira à des paroles oubliées, à des rites que tu n’auras pas appris dans les livres, mais que ton âme reconnaîtra.

(Procopius ne répondit pas tout de suite. Son regard s’était posé sur un éclat de soleil perçant le feuillage. Il n’avait pas reçu de réponse au sens strict — mais quelque chose s’était déplacé, imperceptiblement. Il n’était plus tout à fait dans l’absence. Il était au seuil d’un seuil.)

PROCOPIUS

Je ne sais plus que croire. Mais je sens que quelque chose veille encore.

VIRESCUS

C’est assez. Le reste viendra en marchant.

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