Belenos – Argoat

by Secluded Copyist

Belenos est un groupe que j’aime d’amour. Que j’aime d’amour profond et sincère. Teinté cependant de peine, attristé que je suis par le constat atterrant du manque de reconnaissance qu’essuie l’entité. Manque de reconnaissance en termes d’audience, mais sûrement pas, en revanche, en termes d’estime. On a le droit, bien sûr, de ne pas aimer Belenos. En revanche, je n’ai jamais entendu qui que ce soit dire que Belenos était un mauvais groupe, et je défie le cuistre qui se sentirait capable d’une telle calomnie de venir cracher son venin fangeux en ma présence. Il en sera quitte pour un octogone dans les règles de l’art.

Ne nous mentons pas. Les plus grandes œuvres de Loïc Cellier ont été composées au début des années 2000. S’en sont suivis des albums tous très recommandables, mais pas aussi grandioses que les imposants dolmens qui les surplombent. A mon sens, Yenn Son Gardis représente le dernier album indispensable de Belenos. Kornôg, qui lui emboîte le pas, évoquait de fort belles choses, pouvait se vanter d’une excellente composition sophistiquée et intelligente, mais manquait d’attaque et de furie à mon goût. Après ce madrigal languissant et très atmosphérique, Loïc disait vouloir revenir à des choses plus agressives et belliqueuses, nouvelle qui m’avait ravi. Nous voici en ce début de saison froide de 2019, avec Argoat sur les bras.

Cinquante-trois minutes pour neuf titres, le tout emballé derrière une pochette pas forcément terrible, voire un peu banale. Mais allons, tant qu’il y a le logo du groupe dessus, votre serviteur est content. Dès la première piste, « Kardven », on comprend effectivement que Loïc a voulu remettre une dose de colère dans son black metal celtisant. Non pas que la piste soit particulièrement brutale ou même hostile, mais elle témoigne d’une belle énergie qui fait plaisir à entendre, portée par les mélodies mine de rien assez complexes typiques du groupe. Belenos n’a jamais été du genre à faire tourner ses compositions sur trois riffs simples, et a même souvent prouvé aimer tricoter des morceaux aux progressions recherchées. L’ensemble est enthousiasmant et vigoureux, on y retrouve tout ce qui fait le Belenos qu’on aime. Les plages arpégées, les chœurs ombrageux, les accalmies menaçantes et les parties plus rentre-dedans. La production met d’ailleurs particulièrement en valeur les compositions, avec ses guitares épaisses et chaudes, sa basse lointaine et sa batterie vivante. Rien à redire, le son Belenos est là.

Le voyage est lancé, la Bretagne celtique s’est ouverte à nouveau sous les appels de Belenos, et les paysages déjà souvent arpentés s’allongent une nouvelle fois sous les yeux. L’excellente piste éponyme, avec son passage épique mangé de mélancolie, rappelle les plus beaux souvenirs de Spicilège, album chéri entre tous par votre serviteur. Il y a un talent chez Belenos qui ne se trouve que très rarement ailleurs, c’est celui de sonner vraiment païen. Pas besoin de faire résonner vingt-cinq instruments celtes traditionnels pour cela, Loïc se limite aux classiques du black metal, chante en breton et c’est tout. L’entière portée de son paganisme se trouve dans ses mélodies si reconnaissables, sa conviction et les ambiances qu’il parvient à faire naître.

Je chante les louanges de Belenos, et c’est peut-être fatigant, une telle béatitude. Pour tout avouer, aux premières écoutes, je trouvais l’album bon, mais pas marquant. Et factuellement, il faut admettre, comme déjà annoncé, qu’il n’arrive pas à la hauteur de ses grand frères. On peut également lui reprocher un manque de diversité ou de moments forts, si on l’écoute de manière trop superficielle. Mais quand on regarde bien, on se rend compte que toutes ces reproches seraient en fait assez malhonnêtes. L’album est simplement tellement cohérent, et on connaît si bien Belenos que l’on ne fait plus forcément attention à la richesse de la composition. C’est au bout de quatre ou cinq écoutes que votre serviteur aura enfin trouvé où se trouve la superbe dans cet album. C’est-à-dire nulle part, et partout à la fois.

Tout sonne tellement construit, tout résonne de manière si évidente qu’il est facile de laisser passer les vrais moments de grâce, qui ne sont pas si éclatants que par le passé mais affleurent pourtant bel et bien. Argoat bénéficie d’un savoir-faire si accompli qu’il n’éclate non pas d’un coup à certains moments ponctuels, mais brille plutôt d’un feu hâve sur toute sa longueur, en révélant parfois de discrètes conflagration qu’il faut savoir ressentir. Contrairement aux apparences, cet album n’est pas facile d’accès, ne s’approche pas aisément. Il semble aller de soi, mais il en piégera beaucoup qui s’arrêteront à une écoute un peu blasée, voire même déçue, sans réussir à percer une surface dissimulant bien plus que ce que les premières fois laissent entendre.

Argoat est un album somme toute assez étrange. Plus classique et plus Belenos, il n’y a pas. Mais par un étrange prodige, l’album surprend, pour peu qu’on le travaille. Laissez-le vous décevoir aux premières écoutes, faites reposer, puis remettez-le après quelques temps. Vous verrez alors qu’il s’agit d’un nouveau très bel album. Pas un brasier éclatant, pas un monument ardent, mais un recueil de sincérité et de d’évocation empoussiérée. Belenos est un grand groupe.

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