- Lituanie
- Musique traditionnelle
- Indépendant
- 19 juin 2023
Malgré tous les reproches tout à fait légitimes qu’on lui peut faire, l’été offre la possibilité de sublimer certains genres musicaux plus que d’autres. En l’occurrence, on s’éloigne inconsciemment du black metal pour se rapprocher des considérations champêtres de la musique traditionnelle. Prenons le chemin de l’est et entrons sur le territoire lituanien pour s’imprégner de ses lacs, de ses forêts et de sa culture. Ugniavijas et son nouvel album, le premier depuis 2018, nous y attendent avec la ferme intention de nous conter la richesse d’un patrimoine méconnu. Pourtant, Pulkun a beaucoup de choses à offrir.
On avait un peu perdu de vue Ugniavijas. Si les titres de la troupe masculine passent régulièrement sur les playlists à consonance lituanienne en compagnie des Kūlgrinda, Gyvata et autres Obelija, on ne s’attendait pas particulièrement à entendre les chœurs résonner de nouveau pour entonner des titres tout frais. La surprise est belle, donc, de voir Pulkun émerger des bois pour proposer onze titres tantôt guerriers tantôt lancinants, le tout à l’aide des voix chaudes et puissantes des membres du groupe. Ugniavijas ne change pas sa recette le moins du monde. Les voix sont toujours au cœur des hostilités, parfois soutenues par des percussions et ce qui ressemble à une vielle à roue.
La majeure partie de l’album appartient au même registre, c’est-à-dire à quelque chose d’un brin guerrier, qui ne tombe jamais dans l’épique, mais qui dégage une gravité et une compassion remarquables. Si la plupart des titres sont tout neufs, on remarque au moins une tête connue avec la présence d’une nouvelle version de « Oi Šermukšnio », titre phare du groupe et sorti pour la première fois sur l’album Karo Dainos, qui a vu le jour en 2013. Outre ce souvenir agréable, Pulkun est composé de titres assez homogènes, malgré la présence de trois titres exclusivement instrumentaux.
Parmi ces derniers se trouve d’ailleurs le martial « 1605 », qui reprend la mélodie principale de « Oi Šermukšnio » et qui n’a pour autre thématique que la bataille de Kirchholm (désormais Salaspils en Lettonie). Cette bataille a vu s’opposer le Royaume de Suède et la République des Deux-Nations — l’une des entités les plus puissantes d’Europe en son temps, formée par la Lituanie et la Pologne dès la fin du XVIe siècle — pour une victoire de cette dernière, capitale pour le contrôle de la région. De quoi se rappeler au bon souvenir du passé riche et puissant de la Lituanie, un pays à la culture opulente et à l’identité très marquée. Rappelons à toutes fins utiles que les pays baltes furent les derniers d’Europe à être christianisés — officiellement en 1387 dans le cas de la Lituanie —, ce qui n’est pas sans lien avec la présence toujours très importante du culte païen local.
Tout ceci, Ugniavijas l’incorpore à merveille à sa musique. On ne peut écouter ses chants profonds sans s’évader à l’évocation d’un terroir aussi riche et passionnant à explorer que celui de la Lituanie. Ayons enfin un mot pour l’utilisation du lituanien, évidemment attendue, mais qui permet de mettre à l’honneur une langue complexe, ancienne et chantante, et qui a peu évolué au cours de son histoire, faisant fi de l’influence toujours considérable de ses voisines slaves. Qui chante la culture lituanienne mieux qu’Ugniavijas ?
Grâce à Pulkun, Ugniavijas s’affirme comme l’un des plus éminents conservateurs du patrimoine musical balte. La justesse de ses chants et le travail pictural qui s’en dégage n’ont que peu d’équivalents à l’heure actuelle. La troupe va dès lors profiter des différents festivals estivaux pour répandre la dimension saisissante de sa musique. Ce nouvel album fait office de dépaysement spatial et temporel très réussi en cette période estivale et Ugniavijas doit être félicité pour cela.